On ne le dit pas assez, la Belgique est un pays de poètes. Ne dit-on pas que la poésie est le vrai langage de l'existence ?
« En quelques mois, Scalp fut écrit. Un poème pour chaque flash. Avec une telle facilité?! Comme manger une cerise, en sucer le noyau jusqu'à ce qu'il soit parfaitement lisse dans la bouche et puis le cracher avec précision en direction d'une cible silencieuse. Scalp est donc une vue sur les coulisses de l'écriture de FéminiSpunk ; l'endroit où j'ai mis tout ce qui ne pouvait pas s'y dire et qui ne voulait cependant pas se laisser docilement taire. »
L'univers poétique d'Anna Ayanoglou puise largement aux confins d'une Europe balte, lituanienne, estonienne où elle a beaucoup séjourné. Lieux sévèrement marqués par l'empreinte nazie et soviétique, et qui forment aujourd'hui comme un arrière-pays invisible.
L'auteure y mène un voyage composé d'instants, de sensations, de souvenirs déjà échappés au détour de rues sans importance. Elle ne se veut pas prisonnière d'une forme esthétique principale. Elle préfère la voix du poème à celle du roman. Le poème permet l'expression de formes plus fines, plus subtiles, mais aussi plus fortes. Le poème va plus vite, plus loin. « Les rues de Vilnius noyées sous le feuillage » figurent un monde d'Europe mystérieux et intime. Ce sont là comme des miniatures profondes, impressions de journées ordinaires dans la surprise que tout cela « tient ensemble ». Le fil des traversées offre ainsi au lecteur une géographie personnelle, comme un journal aux secrets bien gardés.
Avec ce recueil, Anna Ayanoglou fait entendre une musique singulière, d'intimité européenne, étonnant de maturité.
Après, depuis est un livre de deuil. Cette chose tout à fait commune, ce thème en soi banal se voient traités ici sur un mode particulier, qui fait basculer le ton forcément subjectif de l'expérience unique vers un cadre plus général, non pas impersonnel mais susceptible d'être investi par n'importe quel lecteur. En six étapes, de la chambre vide à la maison à vendre, chacune d'elles rédigées et composées dans un style et un rythme différents, ce livre fait le tour de ce qui reste et de ce qui change après la mort d'un être aimé.
Le ton du livre rappelle par moments les grands textes lyriques de John Ashbery, mais aussi la fantaisie des listes telle qu'on la trouve chez Borges ou Sei Sh ? nagon. L'essentiel pourtant est le souci de lisibilité, puis la tentative de dépasser le vécu purement individuel. Après, depuis est une élégie dont la grande ambition est d'offrir un écho, certes décalé mais parfaitement reconnaissable, de la vie de ses lecteurs.
Auteur francophone de langue maternelle néerlandaise, Jan Baetens est l'auteur de quelque vingt recueils de poésie, dont SLAM, poèmes sur le basketball, Cent ans de bande dessinée (en vers et en poèmes), Vivre sa vie, une novellisation en vers du film de Jean-Luc Godard ou Ici, mais plus maintenant. Les styles et thèmes de ces livres varient considérablement, mais leur point de départ est toujours le même : la vie quotidienne, refaite et repensée par la littérature.
Il est également l'auteur de nombreuses études sur les rapports entre textes et images, dont récemment Le roman-photo (en collaboration avec Clémentine Mélois, éd. du Lombard) et Adaptation et bande dessinée (Les Impressions Nouvelles). Aux éditions JBE, il vient de publier le "? remix ? " d'une collection privée de ciné-romans-photos, Une fille comme toi.
Ce livre s'ancre dans la poésie en s'ouvrant sur la rencontre entre deux univers, l'univers musical et mental de Serge Gainsbourg, et l'univers secret de Bambou.
Il s'agit d'une fiction poétique autour de ce tandem Serge Gainsbourg-Bambou qui entend moins apporter une pierre de plus au mythe Gainsbourg qu'interroger de façon intimiste les zones de résonance entre deux êtres tendus vers l'extrême. Il n'est point question d'une traversée de l'oeuvre de Gainsbourg mais d'une traversée de son rapport au verbe, aux femmes, à la mort.
Le second volet de ce livre offre une suite poétique où l'auteure explore des contraintes de diverses natures - phonétique, syntaxique, stylistique... -, la règle de base importe moins que le bougé qu'elle produit dans l'ensemble du texte. C'est dès lors l'écart qu'elle catalyse à l'intérieur même du récit, les mouvements centrifuges et les effets déstabilisateurs qu'elle induit. Toucher aux conventions par l'inoculation d'une règle altère le poids d'évidence que nous conférons aux premières et dégage le geste constructiviste dont elles sont les retombées. C'est ainsi que l'adoption d'une contrainte déséquilibre le corpus de règles instituées, que l'adjonction d'une loi libère l'aléatoire. Le recours au lipogramme, à l'homophonie... vaut par la redistribution des paysages qu'il provoque. Les opérations de soustraction ou de prolifération de lettres, le transfert de procédés extra-littéraires dans le champ de l'écrit que ce recueil met en oeuvre ne ressortissent donc pas à l'esprit de formalisation, à son seul souci d'explorer les instruments dont il dispose. Il n'est, en effet, de jeu sur la structure qui ne soit un jeu sur l'événement. Il n'est d'intervention sur les codes de base qui ne soit ébranlement de l'agencement en son ensemble.
Il se dégage de cet ensemble une sensualité peut commune et qui ne s'enferme pas dans des formules : nous controns l'avancée des souffles de l'enfance / par une danse nuptiale / sexe contre sexe.
La poésie d'Éric Brogniet compte au nombre des tentatives les plus concertées pour tirer la démarche créatrice de ses vains labyrinthes narcissiques en nous désignant, dans la fragilité, un lieu lucide où vivre, c'est-à-dire aimer, penser et mourir, dans le peu de liberté qui nous est octroyé. Car le poète sait bien que l'honneur poétique véritable ne connut jamais d'autre chemin ni d'autre but.
- Christophe Van Rossom
Marquis Minuit est un poème fleuve, un chant initiatique composé d'un millier de vers libres et de vingt-six poèmes courts. I l nous plonge sur le chemin du Marquis Minuit, personnage faustien, confrontant sa lutte intérieure à l'expérience des bas-fonds au gré de ses aventures et de ses rencontres, entre quête de soi et recherche du sacré.
Ces déambulations enivrées brouillent la temporalité de ce voyage physique et métaphysique où les visions du Marquis voguent entre réalité et hallucinations. À travers ce poème labyrinthique qu'il qualifie d' « épopée ivre », Tom Buron affirme son rapport au mythe, à une écriture jazzistique et son lien complexe à la ville. Il parvient à travers le Marquis Minuit à montrer une vision précise du rapport à la création artistique : celle d'un engagement absolu, périlleux, plaçant l'individu face au renouvellement constant d'un danger immédiat.
Une écriture libre, énergique, nourrie de philosophie, de mythologie, et dans la lignée des écrivains de la Beat Generation.
Amour Noir.
Quelque chose comme l'idée d'une brûlure.
Comme l'idée d'une morsure.
Comme l'idée encore de ce qui nous consume.
Comme trace du feu qui nous dévore.
Cendres et braises au fer rouge dans la peau des jours gris.
Le désir d'être deux.
Debout parmi les gens.
Et le désastre.
Qu'est le Monde.
Ruine. Salve de mots. Brasier.
Jouer des doigts dans le sable.
Abandonner au vent.
Le projet d'un château.
Vivre.
Notre Amour.
Noir.
Un roman-poème dont l'héroïne apatride erre sur une île rocheuse et mystérieuse.
Première fois qu'on se rencontre, on s'embrasse.
Deuxième fois qu'on se voit, on fait l'amour.
Troisième fois qu'on se retrouve, on se sépare... déjà ?
Petits instantanés d'une vie amoureuse, ces fragments décrivent des rencontres d'un point de vue féminin. Entre les décalages, les déconvenues, les ratages et les espoirs, survient parfois une rencontre inattendue qui ébranle et laisse une marque.
J'essaie d'être toutes ces femmes que je pense avoir en moi.
Toutes en même temps, toutes à la fois.
Cela provoque en moi des séismes :
Pensées contradictoires, clairs obscurs, ratures à mes phrases, En filigrane se profilent quelques questions : dans l'océan moderne des réseaux toujours plus abondants, comment rencontrer l'autre ? comment se confronter à la quête d'une rencontre vraie ?
Avec des bribes poétiques, Sara Gréselle propose des éléments de réponse au travers d'un regard bienveillant sur les rencontres amoureuses d'aujourd'hui. Les relations sont décrites pour ce qu'elles sont, sans hiérarchie ni jugement, et l'on passe avec bonheur des rencontres fugitives aux trajectoires qui se croisent, se séparent ou se retrouvent, des relations complexes aux rencontres empreintes de douceur.
Le ton oscille entre humour et légèreté, justesse et tendresse, simplicité, naïveté, vulnérabilité. Un ton renforcé par les dessins qui eux aussi nous parlent de ces corps qui s'ajustent dans l'espace et le temps, solitaires, mais reliés.
Ce recueil, c'est de la poe´sie contemporaine, mais moins dans la forme que dans le choix des sujets et la fac¸on de les traiter. Par exemple, Karel Logist e´crit directement sur son smartphone. Comme pour s'assurer que dans leur saisie me^me, ses mots parlent du monde tel qu'il est, tel qu'on l'habite. Mais surtout tel que lui l'habite. Car c'est bien un autoportrait qu'il nous offre, le portrait de quelqu'un qui a voue´ sa vie aux mots et qui regarde le monde depuis un e´tonnement jamais passe´. Certes, on sent de la lassitude et de la tristesse. Certes, bien des choses emmerdent le poe`te. Mais la grande force de ces 69 selfies flous est de ne jamais verser dans la de´sespe´rance. Au contraire, ils nous rappellent que la vie a «besoin d'e^tre aime´e et envie d'e^tre de´sire´e, de prendre le vent de face, de sentir et de consentir, de se savoir surprise». En ces temps incertains, qui n'y souscrirait pas?
Carl Norac fait partie des écrivains voyageurs comme avant lui Nicolas Bouvier ou Blaise Cendrars.
Pour lui, le voyage est avant tout un voyage « au fond de soi » On suit ainsi les traces du poète arpentant le monde dont les lieux et les villes résonnent dans le lointain. La sensualité imprègne la poésie de Carl Norac où la femme est omniprésente. La poésie, selon Norac, ne serait-ce pas une manière de regarder le monde à travers les infimes détails de la vie, un art de faire parler les objets et les choses, un art de vivre, en définitive ?
Ce recueil tente de marquer une certaine inadéquation de l'être au monde. Inadaptés au lieu, inaptes à l'autre et séquestrés dans la parole qui est le bruissement de notre espèce.
C'est aller nus dans le noir.
Reste le poème.
Pas le vent de ce qu'on voulait dire, mais la nécessité des failles que les mots maintiennent béantes et du silence auquel ils exhortent.
Mes hamsters, rec¸u par la Poste un jour de novembre, est un e´blouissement. Il se lit comme une autobiographie - ce qu'il est - mais il en e´vacue le superflu pour ne se concentrer que sur quelques the`mes obse´dants : le milieu d'origine, le poids de la religion, le jardin derrie`re la maison, mais aussi ces fameux hamsters, indissociables des souvenirs de l'auteure. Autant de the`mes qui font tourner la petite roue de la me´moire avec tout le grinc¸ant qu'il faut. Car l'e´criture de Ve´ronique Roelandt n'est pas sage. Elle semble l'e^tre. Mais a` coups de touches mordantes et ironiques, elle tient davantage de William Cliff et de son Autobiographie que du carnet de cate´chisme. « Mon dernier hamster portait un nom de dessin anime´, ce qui ne l'a pas empe^che´ de crever », peut-on lire par exemple. Chef d'oeuvre de concision, ce texte a le gou^t d'un album de photos de famille, a` ceci pre`s qu'ici, les photos ont la voix, elles parlent ! C'est la` la grande re´ussite du projet. En nous parlant de nous, ces photos nous e´meuvent et re´activent la roue de nos propres souvenirs.
Caillasses, c'est un Big Bang existentiel, une poésie à la criée, un battement de coeur. Avec son premier recueil de poèmes, Joëlle Sambi tisse une étoffe. Elle assure la protection des vivants et le passage des mots. Une plume affilée, aussi profonde et pleine que la forêt équatoriale. Tel un manifeste poético-politique, elle y déploie les cicatrices d'un corps-âme mâtiné de violences raciales, sexistes et homophobes. Sa langue se pare de mille éclairs afin de partager les raisins mûrs de la colère.