«Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j'éprouve sur l'oreiller d'une sieste paisible, et l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.»Notes de ma cabane de moineDes siècles avant Henry David Thoreau se lisent ici les pensées de deux grands poètes-ermites japonais célébrant, depuis leur contemplation silencieuse et retirée, la force de leur présence au monde.
En ce xiiie siècle qui vit une large diffusion du bouddhisme, les écoles dites de la Terre Pure - le Paradis promis par Amida à ceux qui mettraient en lui leur foi - touchèrent toutes les couches de la population et, tout autant que le zen (mieux connu en Occident mais d'audience plus restreinte au Japon), modelèrent durablement la sensibilité japonaise.
Chômei, quant à lui, avec une tolérance envers la diversité des pratiques religieuses qui révèle, une fois de plus, son anticonformisme, prône pardessus tout la confiance en Amida, la sincérité et la compassion envers autrui. L'élégance du coeur est mise au rang d'une vertu morale. On voit ici le lien entre les Récits de l'éveil du coeur et les Notes sans titre, où il écrivait : « Quand on respecte la Voie de la poésie, il faut avant tout garder un coeur pur ».
Dans les Récits de l'éveil du coeur, Chômei propose, à titre d'exemples à suivre ou à ne pas suivre dans la voie du salut, une galerie de personnages souvent pittoresques, appartenant à toutes les couches de la société :
Ascètes, mais aussi moines ambitieux ou retors, dévots aux pratiques fantasques, mendiants, saltimbanques, femmes énergiques ou blessées par la vie. Des anecdotes comiques alternent avec de belles histoires d'amitié ou d'amour malheureux, des récits de conversion avec la peinture de personnages sombrant dans leurs passions. Au-delà du propos didactique, Chômei se révèle un maître dans l'art de la nouvelle brève.
Ce co ret regroupe, dans un élégant emboîtage illustré d'un manuscrit appartenant aux Collections japonaises de la Bibliothèque nationale, les deux livres déjà précédemment parus au Bruit du temps: Notes de ma cabane de moine et Notes sans titre, et le titre nouveau qui paraît cet automne: Récits de l'éveil du coeur.
" Si par une soirée tranquille, à ma fenêtre, je pense à de vieux amis tout en contemplant la lune, et si j'entends les cris du singe, je mouille ma manche de mes larmes. Lorsque, sur les buissons, je vois des vers luisants, c'est comme si j'apercevais au loin les feux de pêche de Makishima, et le bruit de la pluie matinale ressemble bien à celui du vent qui secoue les feuilles des arbres. Quand j'entends l'appel des faisans, j'ai l'impression d'entendre mon père ou ma mère, et si je constate que même les cerfs des sommets de la montagne s'approchent tout près de moi sans crainte, je comprends à quel point je suis loin du monde. Quand je m'éveille et ranime le feu qui couvait sous la cendre, j'y vois comme un compagnon fidèle de mes vieux jours. Je ne suis pas dans une montagne bien terrible ni déserte, mais alors que la simple voix du hibou suffirait à m'émouvoir, que dire de ces paysages de montagne, infiniment variés selon les saisons ! Il faut ajouter que l'intérêt d'une pareille vie ne pourrait que accroître encore pour quelqu'un qui approfondirait ses pensées et essaierait d'acquérir un savoir profond. " Kamo no Chômei, Notes de ma cabane de moine, 1212.