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" J'ai défendu l'idée que l'exil peut engendrer de la rancoeur et du regret. mais aussi affûter le regard sur le monde. Ce qui a été laissé derrière soi peul inspirer de la mélancolie, mais aussi une nouvelle approche. Puisque, presque par définition. exil et mémoire sont des notions conjointes. c'est ce dont on se souvient et lu manière dont on s'en souvient qui déterminent le regard porté sur le futur " écrit Edward W. Said. Dans cet ouvrage rassemblant des essais publiés de 1967 à 1998. le grand intellectuel américain d'origine palestinienne. professeur de littérature comparée à Columbia University. grand penseur et précurseur des questions postcoloniales, unit ici érudition et expérience pour mieux poser les questions essentielles au monde de demain. Quel est le véritable rôle de l'intellectuel ? Et quelle place pour l'intellectuel arabe dans le débat public ? Que signifie être exilé, déplacé, vivre entre plusieurs mondes ? Comment l'Occident se représente-t-il le monde arabo-musulman ? Comment combattre le thème ressassé de la fin de l'Histoire ou celui du choc des civilisations ? Evoquant tour à tour George Orwell. Giambattista Vico, Georg Lukàcs. E. M. Cioran, Naguib Mahfouz. Herman Melville, Joseph Conrad. Antonio Gramsci. V. S. Naipaul, Raymond Williams ou Daniel Barenboïm, il répète à l'envi que le contexte et les circonstances historiques créent la culture. " Le plus grand fait de ces trois dernières décennies est, à mes yeux, la vaste migration humaine qui a accompagné la guerre. la colonisation et la décolonisation, la révolution économique et politique, et des phénomènes aussi dévastateurs que la famine. la purification ethnique, et les grandes intrigues de pouvoir ", écrit Edward W. Said dans son introduction, dénonçant l'impérialisme politique et l'impérialisme culturel. La voix d'Edward W. Said, né en 1935 dans la Palestine mandataire et mort à New York en 2003 des suites d'une leucémie, était celle d'un visionnaire.
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Au moment de sa disparition en 2003, Edward W. Said occupait, parmi les penseurs de son temps, une place prééminente : publié à titre posthume, Du style tardif est l'un des derniers ouvrages d'un intellectuel qui consacra son existence à observer les manifestations culturelles dans leur relation avec le politique.
Issu du séminaire extrêmement populaire qu'Edward Said tint à l'automne 1995 à l'université de Columbia à New York, les essais qui composent ce recueil examinent les oeuvres produites, sur la fin de leurs vies respectives, par des artistes aussi différents que Richard Strauss, Beethoven, Arnold Schoenberg, Thomas Mann, Jean Genet, Giuseppe Tomaso di Lampedusa, Constantin Cavafy, Samuel Beckett, Luchino Visconti et Glenn Gould.
Le "style tardif" - terme introduit par Adorno - n'a pas nécessairement partie liée au vieillissement ou à la mort, le style n'étant pas une créature mortelle, et les oeuvres d'art n'étant pas dotées d'une vie organique qu'elles pourraient perdre. Ce qui n'empêche pas l'approche de la mort de faire néanmoins son apparition dans les oeuvres de l'artiste par l'introduction de "l'anachronisme et l'anomalie" (Mann, Richard Strauss, Genet, Lampedusa, Cavafy), des caractéristiques n'ayant rien à voir avec la sublime sérénité qui marque les oeuvres ultimes d'un Sophocle ou d'un Shakespeare, dans lesquelles les auteurs semblent avoir réussi à régler leurs différends avec le temps.
Aux yeux de Said, il est clair en effet que loin de constituer le point culminant du parcours artistique de toute une vie, la plupart de ces oeuvres dites "de la dernière période" quel que soit le domaine de création concerné, sont pétries de contradictions insolubles et porteuses d'une impénétrable complexité : bien que ces oeuvres se soient le plus souvent posées en radicale contradiction avec les canons esthétiques de leur temps, elles jouèrent, non moins fréquemment, un rôle précurseur, annonçant les phénomènes en germe au sein de chacune des disciplines artistiques concernées. C'est en cela qu'elles peuvent être qualifiées d'oeuvres émanant de "génie" - au sens le plus authentique du terme.
Le "tardif" équivaut, pour Said, à "une forme d'exil" car lui-même, grande figure de l'exil des Palestiniens, associait à la notion de style tardif un attachement passionné à l'authenticité des relations qui se refusent à tout compromis de réconciliation. Tout ce qui est tardif "élucide et théâtralise" et rend difficile d'entretenir des illusions, écrit-il.
Dans leur éloquence, dans leur passion - car le sujet, au fur et à mesure qu'il le traitait, faisait de plus en plus profondément et douloureusement écho aux propres préoccupations de Said affrontant, au soir de sa vie, la leucémie qui devait l'emporter -, ces essais, aussi brillants que révélateurs et porteurs d'intuitions fulgurantes, sont bien l'ultime chef-d'oeuvre de Said lui-même.