« Tu es un homme paradoxal, habité par une intense passion, et néanmoins ta peinture ne porte aucune trace de fièvre, si ce n'est dans ta série des « coups de vent ». Tu aimes par-dessus tout les heures voilées, les moments d'entre-deux qui estompent les contours. Aurore, aube, crépuscule, ton goût te porte vers l'instable, le mouvant. Tu veux saisir l'éphémère vision de la naissance du jour ou celle de sa dissolution, bue par les ombres ».
Mettant ses pas dans ceux du peintre, Françoise Ascal nous emmène dans les sous-bois et vers les grands ciels lumineux de Camille Corot, chefs-d'oeuvre d'étangs et de lumière, d'arbres ou de jeunes filles rêveuses et silencieuses.
Peu à peu se dessine, dans l'ombre de l'artiste la silhouette d'un autre Camille, issu de l'histoire familiale. Le récit se tisse alors entre ces deux destins que tout sépare - époque, condition sociale, célébrité et longévité pour l'un, anonymat et brièveté pour l'autre qui meurt avant vingt ans au front -, hormis l'intense relation à la nature du peintre dans son paysage, et du jeune paysan dans sa terre. La barque de l'aube nous entraîne ainsi dans une méditation douce sur la mémoire et le temps.
Françoise Ascal a écrit Brumes en réponse à une série éponyme de six peintures à l'huile de Caroline François-Rubino. Ces peintures jouent du trouble des formes et de nos perceptions.
Les contours tremblent, auréolés d'une aura bleutée. « Au loin tout devient bleu », disait Nova- lis, poète que convoque Françoise Ascal dans ce recueil d'une rare sensibilité, parfois sombre et en quête d'espaces préservés : « ainsi persistent / sur la planète en loques / de secrètes réserves d'Ailleurs. »
Françoise Ascal est poète. Sa découverte du retable d'Issenheim à Colmar, oeuvre du peintre Mathias Grünewald, fut un évènement marquant. Grünewald, le temps déchiré en est le poème.
Entre 1994 et 1996, le peintre Gérard Titus-Carmel, avec lequel Françoise Ascal a déjà collaboré, réalise un vaste ensemble de dessins intitulé Suite Grünewald. Quelques-uns d'entre eux accompagnent le poème. Ces deux lectures-écrite et picturale- entrent ici en résonance. L'une comme l'autre témoignent d'une âpre confrontation avec la radicalité du chef-d'oeuvre de Grünewald.
EXTRAIT « je vous écris du haut d'un promontoire de cinq siècles un promontoire sans horizon cerné de barbelés de miradors de drones survolant des terres occupées des villes détruites un promontoire habité par des luttes fratricides gouverné par des appels aux meurtres de votre siècle au nôtre l'humanité n'a pas grandi [...] »
« Dans l'enfance, Velasquez, Goya, Van Gogh, Monet sont venus à moi par de petites portes, sous forme de livres de poche mal imprimés, de cartes postales, d'images découpées dans des revues, et même de calendriers des postes. Dès lors la peinture allait m'accompagner. Le face à face avec l'oeuvre est devenue irremplaçable par la suite, mais je garde de cette époque une tendresse particulière pour ces supports de rêve que sont les images tenues au creux de la main.
Au cours des années, après chaque exposition visitée, j'ai pris l'habitude d'acquérir quelques cartes. Aide-mémoire pour entretenir l'émotion, promesse d'approfondissement, talismans, elles rejoignent mon "atelier intérieur". Tout naturellement elles prennent place dans ces carnets que je tiens depuis toujours. Elles veillent en amies sur l'écriture. Elles nourrissent un dialogue secret. »
Ecrire au plus près de soi, dans un souci d'attention au monde.
Interroger notre quotidien le plus banal. Creuser dans la mémoire et ses failles. Apprivoiser deuils et blessures. C'est l'un des objectifs que s'est donné Françoise Ascal. Les journaux Cendres vives et Le Carré du ciel constituent les deux premiers volets de cette entreprise que poursuit La Table de veille. Ecrit entre 1980 et 1988, Cendres vives aborde la mort d'un père, le monde clos de l'hôpital et une recherche d'apaisement.
Le Carré du ciel, allant de 1988 à 1996, s'interroge sur la mémoire et le temps, le bien et le mal. Par des passerelles avec la musique, la littérature, la peinture, par un rapport privilégié à la nature, les aspects sombres de cette quête du " comment vivre " laissent pourtant filtrer une lumière inattendue.
A travers une vingtaine de lettres, le temps d'une saison, une femme s'adresse à un jeune soldat "un tirailleur sénégalais" mort en septembre 1944 lors d'un assaut décisif pour libérer la colline de Ronchamp, aux confins des Vosges.
Cette colline, lieu privilégié de l'enfance de la narratrice, devint soudain célèbre en 1955, lorsque Le Corbusier fut appelé à y reconstruire la chapelle de Notre-Dame du Haut, détruite par les bombardements. Au fil des lettres, mémoire intime et mémoire collective se mêlent pour interroger l'aujourd'hui. Des correspondances s'établissent entre la narratrice, le soldat, Le Corbusier et sa chapelle, la colline et son passé.
Méditation sur le temps, sur la mort, sur le mal, entre détresse et espérance, Un automne sur la colline tente de rendre hommage à ce qui, en dépit de l'obscur, résiste et luit en chacun de nous.
L'idée de "terre-mère" rassurante, enveloppante, qui accompagnait nos ancêtres a sombré, en même temps que les grands effondrements du XXe.
En deux ou trois générations, la relation s'est inversée : il appartient désormais aux habitants de la terre de soigner leur planète. Souci écologique, obsession du " naturel " répondent-ils à des besoins nouveaux d'hommes "séparés" ? D'humains manquant d'humus ? A l'ère du virtuel, quelles forêts obscures, quels archaïsmes habitent encore nos pensées les plus rationnelles ? La figure du philosophe Gaston Bachelard (1884-1962), qui toute sa vie cultiva une "conscience de racine" et une éthique du " redressement", s'est imposée.
C'est à travers le prisme de sa poétique que l'auteur a exploré notre relation aux éléments et par-delà, au cosmos. En écho à ce travail, neuf regards très personnels viennent se poser sur Bachelard (Marie Alloy, Laurent Contamin, Antoine Emaz, Alain Freixe, Abdellatif Laâbi, Werner Lambersy, Béatrice Libert, Jean-Luc Pouliquen, Florence Trocmé). Se tenir droit malgré la violence du monde, tenter de résister à toute forme de soumission, c'est de cela dont il s'agit.
Écrire au plus près de soi, dans un souci d'attention au monde.
Interroger notre quotidien le plus banal. Creuser dans la mémoire et ses failles. Apprivoiser deuils et blessures. C'est l'objectif que s'est donné Françoise Ascal en travaillant " la note de journal " dès ses premières publications. La Table de veille, après Cendres vives et Le Carré du ciel, est le troisième volet d'un chantier d'écriture toujours en mouvement. Il s'agit bien, à travers les questions posées par la langue elle-même, de se confronter au " métier de vivre ", selon les mots de Pavèse.
Tenu de 1996 à 2001, ce nouveau carnet de bord chemine entre un village de la Brie et la ville de Nantes. Il s'organise en trois temps liés à la mort de la mère, événement constituant ici le coeur du texte. Si ces pages explorent nos fragilités intime, le vieillissement et la perte, elles sont tout autant - au-delà du " travail de deuil " imparti à chacun - une célébration de la vie et de ses éblouissements.
Manière de " résister ", si peu que ce soit, par ces temps de désastre.
Recueil de seize textes allant de la nouvelle au poème en prose, centrés sur des destins ordinaires en prise avec une fracture ou Lin exil.
Les protagonistes de cet ensemble - de l'adolescente handicapée à la vieille dame solitaire en passant par Lin pigeon voyageur - saisis dans leur énigme particulière, ont en commun le franchissement d'un seuil. A travers poèmes, récits, nouvelles, livres d'artiste ou notes de journal, Françoise Ascal interroge la matière autobiographique, croise l'intime et le collectif pour mieux rejoindre " la part commune ".