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Belfond
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« Jacques déplia son long corps et se frotta les yeux en bâillant, aveuglé par les néons de la synagogue séfarade de la bonne ville de S. Il desserra son noeud de cravate ; comme chaque année, le bedeau avait mal réglé le chauffage et Jacques s'ennuyait ferme à Kippour. » Ainsi commencent les aventures tragi-comiques de Jacques Koskas. Jacques veut vivre sa vie, mais laquelle ? Oscillant entre son pur esprit et la chair accueillante de ses maîtresses, il cornaque un joueur de foot au soleil du Brésil en théorisant sur Vienne fin de siècle... Jacques jouit, mais avec entraves. Jacques pense la révolution, mais sexuelle. Jacques, c'est terrible, s'appelle Jacques, comme son père.
Impossible et attachant, looser magnifique et idéaliste indécis, notre héros mène son épopée vers la seule cohérence que son destin lui permet. -
En 1922, Hugo Bettauer, journaliste, romancier, grand provocateur, imagine une étonnante satire politique. Alors que Vienne traverse une grave crise économique et sociale, les autorités arrivent à une conclusion imparable : pour sortir du marasme, il suffit de faire partir tous les habitants juifs.
À Vienne, en 1922, les Juifs autrichiens occupent les postes-clés de la ville. Certes, les viennois apprécient hautement leurs qualités, mais les estimant trop écrasantes pour que la majorité aryenne puisse elle aussi prendre son essor, obtiennent du Parlement l'expulsion de tous les Juifs d'Autriche. Expulsion douloureuse mais non physiquement brutale, chaque individu recevant une indemnité proportionnelle à ses précédentes déclarations fiscales, ce qui ne manque pas de faire naître, chez certains, quelques regrets tardifs.
Après le départ du dernier Juif, fêté dans l'allégresse, l'euphorie retombe très vite. Des secteurs entiers de l'économie périclitent. Les Juifs savaient certes gagner de l'argent, mais avaient aussi l'art d'en dépenser. Le cours de la couronne s'effondre, le chômage et l'inflation galopent alors que, de son côté, la vie intellectuelle et culturelle tombe au plus bas. Vienne perd son prestige de capitale et prend des allures de ville de province.
On en vient bientôt à souhaiter secrètement le retour des Juifs...
EXTRAITS De l'université à la rue Bellaria, une véritable muraille humaine cernait le splendide et serein bâtiment où siégeait le Parlement. En cette matinée de juin, tout Vienne semblait s'être donné rendez-vous, à dix heures, là où allait se jouer un événement historique d'une portée imprévisible. Bourgeois et ouvriers, dames et femmes du peuples, adolescents et vieillards, jeunes filles, petits enfants, malades dans leurs fauteuils roulants, surgissaient pêle-mêle, criaient et discutaillaient politique et suaient abondamment. À tout moment, un nouvel exalté se mettait à haranguer la foule et sans cesse on entendait retentir le même slogan :
?Dehors les Juifs !' Mesdames et messieurs ! J'ai dit que je tenais le Juif, considéré en soi et objectivement, pour un individu estimable, et je le maintiens. Mais le hanneton doré, avec ses ailes étincelantes, n'est-il pas lui aussi une créature belle et estimable, et n'est-il pas malgré tout exterminé par le jardinier consciencieux, parce que la rose lui est plus chère que le hanneton ? Le tigre n'est-il pas un animal magnifique, plein de force, de courage et d'intelligence ? Et n'est-il pas cependant chassé et traqué parce que la lutte pour la vie l'exige ? C'est de ce point de vue et de lui seul que nous devons considérer la question juive. C'est nous ou bien les Juifs !