C'est un samedi matin comme un autre, dans la maison isolée où Thierry, le narrateur, s'est installé des années auparavant. Il y vit avec sa femme Élisabeth, encore endormie ;
Leur fils habite loin désormais. Leur voisin Guy est rentré tard, sans doute a-t-il comme souvent roulé sans but avec sa fourgonnette. Thierry s'apprête à partir à la rivière, quand il entend des bruits de moteur.
La scène qu'il découvre en sortant est proprement impensable : cinq ou six voitures de police, une ambulance, des hommes casqués et vêtus de gilets pare-balles surgissant de la forêt. Un capitaine de gendarmerie lui demande de se coucher à terre le temps de l'intervention.
Tout va très vite, à peine l'officier montre-t-il sa stupeur lorsque Thierry s'inquiète pour Guy et Chantal, ses amis.
Thierry et Élisabeth, qui l'a rejoint, se perdent en conjectures.
En état de choc, ils apprennent l'arrestation de ces voisins si serviables, les seuls à la ronde, avec qui ils ont partagé tant de bons moments.
Tenu par le secret de son enquête, le capitaine Bretan ne leur donne aucune explication, il se contente de solliciter leur coopération. Au bout de vingt-quatre heures de sidération, réveillé à l'aube par des coups frappés à la porte, Thierry réalise enfin, filmé sur son seuil par une journaliste à l'affût de sensationnel, que Guy Delric est le tueur des fillettes qui disparaissent depuis des années.
Oscillant entre le déni, la colère et le chagrin, cet homme au naturel taciturne tente d'abord désespérément de retrouver le cours normal de sa vie : mais à l'usine, où il se réfugie tant bien que mal dans l'entretien des machines dont il a la charge, la curiosité de ses collègues lui pèse. Chez lui, la prostration d'Élisabeth le laisse totalement impuissant. Tandis que s'égrène sur toutes les chaînes de télévision la liste des petites victimes, il plonge dans ses carnets, à la recherche de détails qui auraient dû lui faire comprendre qui était véritablement son voisin. Les trajets nocturnes en fourgonnette, par exemple, ou cette phrase prononcée par Guy alors qu'ils observaient des insectes - un de leurs passe-temps favoris -, à propos de leur cruauté : « Tu sais quoi, Thierry, même le plus habile des criminels n'est pas capable d'une telle précision. » La descente aux enfers de cet être claquemuré en lui-même va se précipiter avec le départ de sa femme, incapable de continuer à vivre dans ce lieu hanté, cette maison loin de tout où elle avait accepté d'emménager avec réticence.
Tiffany Tavernier va dès lors accompagner son protagoniste dans un long et bouleversant voyage. Pour trouver une réponse à la question qui le taraude - comment avoir pu ignorer que son unique ami était l'incarnation du mal -, il n'a d'autre choix que de quitter son refuge, d'abandonner sa carapace. Thierry part sur les traces d'un passé occulté - une enfance marquée par la solitude et la violence, dont les seuls souvenirs heureux sont les séjours dans la ferme de son grand-père mort trop tôt.
Avec ce magnifique portrait d'homme, la romancière, subtile interprète des âmes tourmentées, continue d'interroger - comme elle l'avait fait dans Roissy (2018) -, l'infinie faculté de l'être humain à renaître à soi et au monde.
Les discussions des voyageurs de toutes nationa- lités, les panneaux où viennent s'afficher les nu- méros de vol, les boutiques, les enseignes cligno- tantes, les annonces lumineuses, les bribes échan- gées par les personnels navigants ou au sol, les demandes affolées des passagers en transit, égarés dans le vaste aéroport : tel est le quotidien de la narratrice de ce roman, son environnement visuel et sonore, depuis qu'elle a élu domicile à Roissy.
Sans cesse en mouvement, toujours tirant derrière elle une petite valise, elle va d'un terminal à l'autre, engage des conversations, s'invente des vies, éter- nelle voyageuse qui pourtant ne montera jamais dans un de ces avions dont le spectacle l'apaise.
Passée maîtresse dans l'art de l'esquive, elle sait comment éviter les questions trop pressantes.
Cette femme sans domicile fixe, dont Tiffany Tavernier fait l'héroïne de son nouveau roman, est ce qu'il est convenu d'appeler une « indécelable ».
Arrivée à Roissy dans une grande confusion mentale, sans mémoire ni passé, elle a trouvé dans ce non lieu qui les englobe tous un cocon protecteur. Au fil des jours, elle s'y est reconstruit une vie. Les subterfuges qu'elle déploie pour rester propre et bien habillée, les rencontres incongrues, les épisodes cocasses - comme ces sangliers qui ont envahi les pistes -, mais aussi les angoisses d'être repérée par les forces de l'ordre, elle les confie à Vlad, l'homme dont elle partage parfois le matelas dans la galerie souterraine d'où lui ne sort jamais.
Instituant habitudes et rituels comme autant de remparts au désarroi qui souvent l'assaille, s'attachant aux lieux et aux êtres - notamment à cet « homme au foulard » présent tous les jours, comme elle, à l'arrivée du vol Rio-Paris -, la femme sans nom fait corps avec l'immense aérogare.
Mais, bientôt, ce fragile équilibre est rompu.
Quand Vlad tombe très malade, la bulle de sécu- rité vole en éclats. Avec un art consommé de la narration, Tiffany Tavernier nous entraîne alors sur les chemins d'une belle et difficile reconquête.
Bouleversée par la relation qui se noue avec Luc, « l'homme au foulard », celle qui lui dit se prénom- mer Anne va, petit à petit, apprendre à renoncer à son présent d'aéroport pour accepter qui elle est.
Magnifique portrait de femme rendue à elle-même à la faveur des émotions qui la traversent, Roissy est un livre puissant, qui interroge l'infinie capacité de l'être humain à renaître à soi et au monde.
Isabelle Eberhardt (1877-1904) reste une figure romantique et mystérieuse du XXe siècle naissant. À l'heure où des jeunes filles partent en Syrie pour embrasser la « cause » de l'Islam, il est passionnant de se pencher sur le destin de celle qui choisira le soufisme, l'islam des lumières.
Isabelle Eberhardt, c'est une âme passionnée, une intelligence vive et une avant-gardiste. Chez elle, tout est fulgurance. Morte à seulement 27 ans, emportée par les crues en Algérie, en 1904. En peu de temps, elle aura laissé une oeuvre littéraire et une empreinte majeure par la vie qu'elle mena.
Jusqu'à ses 20 ans, elle grandit à Genève, à la Villa Neuve, coupée du monde, entourée de livres et de plantes tropicales, bénéficiant d'une éducation libertaire et parlant cinq langues ! Tout en elle aspire à vivre plus grand - en Suisse elle fréquente les milieux anarchistes - elle lit des romans exotiques jusqu'à plus soif et aspire à voyager dans ces pays qui la font tant rêver. Huit années durant, Isabelle réalisera son rêve et parcourra le Maghreb, s'habillant en bédouin, chevauchant dans le désert et signant ses écrits « Si Mahmoud Saadi ».
Tiffany Tavernier raconte, au plus près du personnage, l'attachement indéfectible au Sahara et à ses habitants, sa quête d'absolu par l'écriture, mais aussi les excès de boissons et toutes sortes de débauches. Car Isabelle est excessive, voire scandaleuse et sévèrement jugée par colons ou arabes, ce qui lui vaudra d'être la cible d'une tentative d'assassinat en 1901. Elle critique violemment le colonialisme, se lie en même temps avec le général Lyautey. Sa courte vie est un roman intense aux multiples facettes.
C'est un destin exceptionnel, une jeune femme qui a tout osé à une époque où les femmes n'osaient pas, que l'auteur fait revivre, vibrante et exaltée.
Il n'a pas de nom.
Il doit avoir quarante-cinq ans. Depuis des années, il a perdu l'habitude de compter les femmes, les pays, les villes qu'il a connus. La terre de Baffin, une île de l'archipel arctique canadien, c'est la première fois qu'il y met les pieds. Il a accepté ce poste de professeur pour l'argent. Il faut bien vivre. Là-bas, personne ne l'attend. L'école est fermée. Elle n'ouvrira ses portes que dans un mois. Il part chasser avec Judas, Samuel, Guitry et quelques autres Inuits.
Rien ne l'a préparé à cette traversée blanche, pas même ses vingt années de voyages. Les jours qui ne finissent pas, le sang des phoques qu'on traîne, la radio hurlante des skidoos, les histoires de chasse à l'ours, l'horizon qu'on n'atteint jamais, la blancheur qui cingle les yeux et le froid vif qui rentre jusqu'au fin fond de la gorge... Une voix monte. Il est temps de régler ses comptes avec ses deux frères, sa mère, et lui-même.
Et de parler de cet amour brutal qu'il vient de vivre et qui l'obsède, Susan. Il est temps, oui, parce qu'ici tout un peuple se meurt malgré le rire des chasses et l'ivresse de Judas. Et dans leur bouche à tous c'est comme un goût de larmes.
A dix-sept ans, Justine n'a plus le goût de vivre, quand un voyage en Inde vient bouleverser son existence.
Des mouroirs de Calcutta à la beauté éclatante du Taj Mahal, de moments de solitude et de détresse en rencontres fabuleuses, c'est autant à un voyage intérieur et à une révélation de soi qu'à une errance terrestre qu'elle sera confrontée. Son périple va la mener au fond d'elle-même, là où du vide et de la souffrance doit renaître une lumière... Un récit alerte, riche de péripéties et de personnages dépeints avec vivacité et justesse, auquel Tiffany Tavernier a su conférer une intensité, une sincérité et une émotion saisissantes.
Si, juste après avoir écrit une lettre de rupture à votre mari, vous preniez en voiture un pylône électrique de plein fouet?
Si, au moment même où il lit cette lettre, un coup de fil lui apprend que vous êtes en coma 3 et qu'il faut absolument qu'il vous sorte de là?
Si, dans votre coma, vous croisiez une étrange Gabonaise qui vous guidait à travers les épreuves et les éblouissements d'un rituel d'initiation?
Si, plongé dans le chaos, votre mari cherchait le soutien d'une psy?
Si ce voyage initiatique vécu du fond de la maladie bouleversait votre vision du monde?
Et si tout à coup il n'était plus question entre vous deux de rupture mais de survie?
Des tréfonds de la souffrance à la renaissance et à l'amour, un double parcours initiatique d'une trépidante énergie vitale.
Roman tout de charme et de finesse, La Menace des miroirs est l'histoire d'une jeune femme qui tente d'exprimer, par la lumière de sa chambre - à la fois prétexte et symbole --, les nostalgies de l'enfance et les émois de la virginité.
Sur le thème du passage et de la violence de l'incarnation, l'auteur nous fait partager son intense émotion.
Alors que son mari la quitte, la narratrice, Tiffany Tavernier, retrouve cette douleur de l'enfance lorsque sa mère les a quittés, elle son frère et son père Bertrand pour un autre amour. Et les souvenirs affluent de ce temps où, son père n'ayant personne pour s'occuper de ses enfants les emmenaient sur les tournages. La magie du cinéma pour combattre la tristesse du départ maternel. Aujourd'hui, pour ne pas sombrer à l'heure de l'autre abandon, celui de l'homme aimé, Tiffany convoque les images d'hier et à travers le brouillard du présent, retrouve ce chemin de lumière du cinéma en train de se faire.
Marie rencontre Eli, un jour banal dans un lieu banal. Plus elle l'aime, plus elle s'enfonce là où le sexe et l'attente règnent en maîtres : chair archaïque, jouissance. Cela pourrait en rester là, mais dans cette obession-peau, Marie a décidé de tuer son amant. En cinq repas. La nuit venue, dans sa cuisine, elle plonge ses mains dans les beurres et les pâtes. Face à la somptuosité des mets, Eli est dérouté : est-ce le goût de cette farce sublime qui lui rend soudain Marie plus attirante ? Ou cette façon bien à elle de l'amener plus loin qu'ils n'étaient jamais allés ensemble ? Jeux de la bouche et de la mort : Marie ira-t-elle jusqu'au bout ?
A travers ce récit mené au fil du couteau, Tiffany Tavernier lève un pan de l'imaginaire féminin qu'on n'a jamais fini de découvrir, entre attirance et effroi. L'écriture est à l'image de l'ogresse qui se révèle ici à travers la cuisine : concise et crue.