Poèmes lus par la mer est un hommage au poète Frédéric-Jacques Temple décédé en 2020, mais ce recueil de Luis Mizon possède avant tout sa propre autonomie poétique. C'est une véritable traversée, peuplée d'images fortes, parfois violentes au cours de laquelle l'auteur aborde les thèmes qui lui sont chers, dont ce sentiment d'exil déjà si présent dans "Le Naufragé de Valparaiso" paru aux éditions Æncrages & Co en 2008. Le monde y est appréhendé par une sensorialité exacerbée, par une multiplicité de couleurs et de sons avec lesquels viennent résonner les nombreuses gouaches d'Alain Clément qui ponctuent l'ensemble du livre.
En quelques pages, Nicolas Grégoire livre un texte âpre, difficile, presque irrespirable. Mais cette noirceur n'est pas gratuite, elle n'est pas motivée par un souci d'aggravation ou d'exagération esthétique et, avec tout, malgré tout, on y voit poindre un espoir discret. On y lit la déchéance d'un père qui n'aura fait qu'esquiver sa propre existence, refusant de s'affronter, cédant à la boisson, à la facilité, s'évacuant par ce biais, quitte à y laisser sa peau trop tôt. Et c'est cet affrontement non affronté par le père, que le fils-poète affronte. C'est ce travail impossible, manqué, qu'il prend à sa charge par l'écriture, laquelle devient tout à la fois une sorte de symptôme, de rappel lancinant de l'échec à dire, de l'échec à résorber le désastre que le fils « porte à son tour », parce que les mots ratent et ne suffisent jamais, et un moyen salutaire, parce que l'auteur s'y emploie, parce qu'il affronte, ne se détourne pas de ces traits paternels qui se superposent aux siens.
Si ce recueil s'adresse à plusieurs artistes et à leur travail (au premier rang desquels les peintres Serge Saunière, Olivier de Sagazan, Christophe Miralles, Christelle Morvan,...), chacun des poèmes qui le compose, avec une redoutable économie de moyens, n'est pas tant un regard porté, un simple commentaire sur l'oeuvre observée, que la recherche d'un mouvement, que le témoignage d'une traversée qui excède la peinture et nous rappelle que le pictural la précède toujours, pour se cheviller à la chair, à la pensée dans ses aspects les plus archaïques, sans que l'on sache jamais tout à fait « Qui du ventre ou de la tête / A pris la main ? » Le recueil s'achève par des fragments d'une correspondance avec Bernard Noël qui dira, en lisant les poèmes dédiés au peintre Serge Saunière qui accompagne ce livre de plusieurs encres: «Ce texte donne la sensation d'être si juste qu'il en émane une beauté d'autant plus vive que ce n'est pas elle qui est recherchée mais l'équivalent de la perception.
Enfant tu te demandes.
Si toutes les maisons ont.
Leur repli.
Leur terrain de jeu de guerre.
Et leur cachette ouverte.
Qui ne serait pas celle des greniers des dessous d'escalier obscurs.
Tu te demandes.
Si dans toutes les maisons.
On se tient voûté.
Tapi.
Là par effraction.
« Maud Thiria évoque dans ce nouveau livre les bribes de souvenirs qui s'attachent à la présence toute proche d'un blockhaus au fond de son jardin d'enfance. Mieux, elle le constitue en lieu mental et en fait la table d'orientation de son écriture.
Quel est donc ce blockhaus, à demi enfoui dans son imaginaire ?
Une masse grise et sale de béton brut à l'odeur acide de terre et de peur. Une cachette paradoxale pour l'enfant : moins un abri qu'une cavité inquiétante où se blottir au plus près de son propre inconnu, lové dans la peur. Là réside le fantôme d'un danger imminent, l'ombre sourde d'une menace, comme si un ennemi se cachait, tout proche, non pas extérieur mais intérieur au blockhaus et à son odeur forte d'urine et de misère humaine. » Extrait de la préface de Jean-Michel Maulpoix.
Ensemble de proses courtes re´dige´es de fac¸on manuscrites dans un e´change e´pistolaire ou` Pierre Bergounioux re´pond a` des peinture de J.-M. Marchetti. Pris dans le prisme de la peinture, l'auteur nous emme`ne autant sur le plan d'une histoire des socie´te´s, de la place faite a` la peinture, de l'e´volution des pense´es, du principe de liberte´ que sur un plan plus intime, de la sensibilite´, de l'enfance, de la nature. La peinture comme une manie`re de voir plus loin, de voir au-dela`. Elle offre une multitude de possibles qui sont la re´alite´ mais qui tout a` la fois de´passent cette re´alite´. La peinture comme matie`re vivante, organique. Elle s'attache alors a` ce qu'il y a a` l'inte´rieur, a` l'e´paisseur de tout un monde. La peinture comme miroir de la nature, de sa force, de ses de´luges et de sa beaute´. La peinture comme me´moire, combat et que^te de sens.
Françoise Ascal a écrit Brumes en réponse à une série éponyme de six peintures à l'huile de Caroline François-Rubino. Ces peintures jouent du trouble des formes et de nos perceptions.
Les contours tremblent, auréolés d'une aura bleutée. « Au loin tout devient bleu », disait Nova- lis, poète que convoque Françoise Ascal dans ce recueil d'une rare sensibilité, parfois sombre et en quête d'espaces préservés : « ainsi persistent / sur la planète en loques / de secrètes réserves d'Ailleurs. »
Quatre photos d'un homme se confondant avec le ciel, la montagne, la mer et la forêt... Là, les paysages enveloppent la chair comme un manteau. Ici une envolée d'oiseaux, la neige où l'ombre dissimule un corps. Partout le même souffle circule entre l'inerte et l'organique. « Je suis respiré / calmes forêts ». Le regard se sent dessaisi de la mémoire du corps : « L'image brûle. Au pied du portrait de petites fleurs mauves ont poussé. »
Ensemble de poèmes publiés dans différents recueils de Rosanna Warren entre 2003 et 2017, et jusque-là inédits en France. Ces poèmes, imprégnés d'une mythologie forte et sublimés par une pureté du rythme, nous embarquent à travers des paysages tantôt américains, tantôt français, tantôt urbains, tantôt bucoliques, et viennent interroger le monde, l'Histoire, l'art, la perte, le désir.
Armand Gatti mêle ici de façon subtile et adroite la petite et la grande histoire, l'amour et la guerre, le chant et l'horreur. Paysages de maquis, évocations des "frères" de combat, des espoirs et de la misère des temps de guerre. Il faut dire, il faut écrire pour ceux oubliés, tombés, pour tout ce qu'on arrache a? l'existence. Il en ressort une sorte d'interrogation constante : comment continuer a? aimer quand tout autour de nous est mort et désillusions ? Le sentiment de l'amour, qu'il soit celui d'une femme ou celui de la patrie, peut-il nous sauver, être la réponse a? tout ? C'est en même temps une très belle lettre de mémoire et d'amour pour tous ces frères qui se sont laissés attraper par la "sirène". Cette image est très intéressante et semble représenter ce Elle qui alors serait la patrie, qui serait le chant mélodique attirant les pauvres âmes au bord des tranchées, en première ligne, prêts a? donner leur vie pour elle.
Ensemble de proses ou` l'auteur tente de « dire e´crire ». Il nous emme`ne alors sur les chemins de la sensibilite´, de l'e´lan de vivre, de l'e´tonnement quotidien, de l'attente ne´cessaire.
Ce que l'on retient de ce beau texte, c'est la manie`re dont Antoine Emaz lie la vie, l'e´motion a` l'e´criture, au travail du poe`te : « force-forme », « vie-langue », « vivre- e´crire ». Comme une bulle ne´cessaire, vitale a` l'homme- observateur qui saisit le monde et tente de le transcrire au plus vrai, au plus proche de son intensite´.
« On n'e´crit pas pour faire beau, on e´crit pour respirer mieux. »
Écrit en 1958, Le Bombardement de Berlin parut en 1960 dans Plus, une revue poétique bruxelloise. Ce fut, jusqu'à présent, la seule édition du poème.
Le Bombardement de Berlin se présente comme le plan d'une ville. Ce poème devient la ville bombardée par les mots, par le verbe, donnant existence à un élément complexe de l'univers, protagoniste non idéalisé du poème, le mot FEU. Écrit en majuscules, il se propage sur la feuille blanche, sur toute la ville. Le feu, ses cheminements et ses traces constituent le poème lui-même.
Si les grandes boîtes bleues sont d'abord les contenants d'une archive familiale, notamment photographique, elles deviennent très vite autre chose et davantage dans les poèmes de ce recueil. S'il existe un plaisir manifeste à fouiller ces boîtes, à en extraire des fragments, il existe également le plaisir de travailler la boîte travailleuse elle-même : le poème devient cette boîte sonore qui cherche et s'anime : par glissades, sursauts, contritions,...
Les poèmes qui composent cet ensemble, dont les plus anciens datent du début des années 2000, sont pour la plupart des poèmes de rebut, insatisfaisants, partiellement oubliés, abandonnés dans des dossiers éparpillés. Ils formaient ainsi une « archive négative », une archive du manque, du raté, du mal dit, mal senti.
Ils ont été repris, réécrits et assemblés par l'auteur sans savoir s'ils seraient à même de devenir autre chose que ce qu'ils étaient.
Poème en prose, poème de voyage. Nous suivons la narratrice en Équateur, duquel elle dresse un tableau entre description de ses habitants et paysages et subjectivité d'une expérience intérieure, d'une rencontre avec l'autre mais aussi avec soi.
Ce qui nous touche dans la poésie de Laura Tirandaz, c'est cette capacité à tirer des visages, des portraits, tout en nous laissant dans un certain vague, dans un questionnement ouvert sur notre imagination et notre propre expérience de la rencontre.
Elle joue habilement entre le récit et le poétique. Nous sommes à la fois dans un contexte tout à fait concret et pourtant onirique. Elle cherche à interroger le monde, l'existence, le lien puissant qui nous lie à la Terre, à la mémoire, aux autres.
Voyage empreint de l'enfance et du temps que l'on met à grandir et à perdre une certaine naïveté.
Comment intégrer l'expérience vécue dans une existence en dedans de soi ? Qu'est-ce que cela dit de nous ? À quoi appartient-on finalement : à ses souvenir ou à son présent ? À ses morts ou à cette existence qui continue « quand même » ?
"Quand on atteint les quatre-vingt on écrit en octosyllabes si je deviens nonagénaire je saurai compter jusqu'à neuf c'est nettement plus difficile mais sonne tout différemment j'ai essayé cela produit une sorte d'hésitation" Michel Butor