À travers chacune des parties qu'elle nomme "mouvements", l'auteure met en « récit » des fragments quotidiens, que ce soit un deuil, des trajets hivernaux en transports en commun, un certain rapport à la musique ou au langage, les réactions du public parfois non averti et ses incompréhension face à l'étrangeté du poème, ou encore les tribulations du poète en quête d'éditeur. Tout en explorant ces fragments, elle explore son propre langage les explorant, elle se met à l'écoute de la plurivocité des mots qui donnent et disent toujours, dans leurs glissements et dérapages sonores, dans leurs collusions, davantage qu'on ne leur confie.
« on n'écrit (ou ne décrit) jamais quelque chose qui s'est passé avant le travail d'écrire, notait Claude Simon, mais bien ce qui se produit (et cela dans tous les sens du terme) au cours de ce travail, au présent de celui-ci.» Aussi, chacun des fragments recueillis par Annelyse Simao est-il promu, par le poème, au rang d'aventure langagière.
Le langage est ce miroir actif et infidèle qui ne cesse de chahuter l'eau du monde, de la renouveler, de la rendre respirable et, pourquoi pas, désirable.
Poèmes lus par la mer est un hommage au poète Frédéric-Jacques Temple décédé en 2020, mais ce recueil de Luis Mizon possède avant tout sa propre autonomie poétique. C'est une véritable traversée, peuplée d'images fortes, parfois violentes au cours de laquelle l'auteur aborde les thèmes qui lui sont chers, dont ce sentiment d'exil déjà si présent dans "Le Naufragé de Valparaiso" paru aux éditions Æncrages & Co en 2008. Le monde y est appréhendé par une sensorialité exacerbée, par une multiplicité de couleurs et de sons avec lesquels viennent résonner les nombreuses gouaches d'Alain Clément qui ponctuent l'ensemble du livre.
Armand Gatti mêle ici de façon subtile et adroite la petite et la grande histoire, l'amour et la guerre, le chant et l'horreur. Paysages de maquis, évocations des "frères" de combat, des espoirs et de la misère des temps de guerre. Il faut dire, il faut écrire pour ceux oubliés, tombés, pour tout ce qu'on arrache a? l'existence. Il en ressort une sorte d'interrogation constante : comment continuer a? aimer quand tout autour de nous est mort et désillusions ? Le sentiment de l'amour, qu'il soit celui d'une femme ou celui de la patrie, peut-il nous sauver, être la réponse a? tout ? C'est en même temps une très belle lettre de mémoire et d'amour pour tous ces frères qui se sont laissés attraper par la "sirène". Cette image est très intéressante et semble représenter ce Elle qui alors serait la patrie, qui serait le chant mélodique attirant les pauvres âmes au bord des tranchées, en première ligne, prêts a? donner leur vie pour elle.
Françoise Ascal a écrit Brumes en réponse à une série éponyme de six peintures à l'huile de Caroline François-Rubino. Ces peintures jouent du trouble des formes et de nos perceptions.
Les contours tremblent, auréolés d'une aura bleutée. « Au loin tout devient bleu », disait Nova- lis, poète que convoque Françoise Ascal dans ce recueil d'une rare sensibilité, parfois sombre et en quête d'espaces préservés : « ainsi persistent / sur la planète en loques / de secrètes réserves d'Ailleurs. »
Ensemble de poèmes publiés dans différents recueils de Rosanna Warren entre 2003 et 2017, et jusque-là inédits en France. Ces poèmes, imprégnés d'une mythologie forte et sublimés par une pureté du rythme, nous embarquent à travers des paysages tantôt américains, tantôt français, tantôt urbains, tantôt bucoliques, et viennent interroger le monde, l'Histoire, l'art, la perte, le désir.
Si les grandes boîtes bleues sont d'abord les contenants d'une archive familiale, notamment photographique, elles deviennent très vite autre chose et davantage dans les poèmes de ce recueil. S'il existe un plaisir manifeste à fouiller ces boîtes, à en extraire des fragments, il existe également le plaisir de travailler la boîte travailleuse elle-même : le poème devient cette boîte sonore qui cherche et s'anime : par glissades, sursauts, contritions,...
Les poèmes qui composent cet ensemble, dont les plus anciens datent du début des années 2000, sont pour la plupart des poèmes de rebut, insatisfaisants, partiellement oubliés, abandonnés dans des dossiers éparpillés. Ils formaient ainsi une « archive négative », une archive du manque, du raté, du mal dit, mal senti.
Ils ont été repris, réécrits et assemblés par l'auteur sans savoir s'ils seraient à même de devenir autre chose que ce qu'ils étaient.
Ce poème est un travail de mémoire tout en se donnant témoin du présent. Les mots semblent décrire le manque de mots, la poésie semble être là pour dire ce qu'on ne sait pas dire. Elle laisse ici assez d'espace, de l'air entre les mots qui cherchent à sortir pour éprouver ce monde, celui dans lequel le poète évolue. Jour après jour. Le poète se donne comme devoir de dire le présent, de questionner la raison d'être, le pourquoi d'exister, de trouver une place au milieu d'une certaine violence ancrée dans ce paysage.
Ce poe`me part d'un dessin d'arbre nu et de la simple contemplation de cette peinture. Pre´texte alors a` soulever de nombreux questionnements : le temps, la conscience de soi, et sans doute la conscience de soi par l'autre, par ce qui cre´e un lien entre soi et le monde, entre soi et la me´moire. Finalement, il va e´tablir un lien entre le regard et le faire, la nature comme une force de vie incroyable, comme un mode`le d'e^tre-au-monde presque parfait. On ressent ici une importante recherche de ce qui est immuable, de ce qui fabrique le quotidien dans sa que^te de sens, anime´ aussi par un combat contre le besoin de posse´der mate´riellement le monde, ce que cela apporte de superficialite´ et de de´possession de soi finalement. C'est une recherche du beau dans ce qu'il a de simple et e´vident, le beau dans le de´nuement total. La poe´sie de Ce´dric Le Penven fait partie de ce que l'on appelle une poe´sie du quotidien, en ce qu'elle va chercher a` l'inte´rieur de soi des liens plus profonds et plus larges avec le rapport au temps et a` sa cicatrisation, le rapport au monde et a` ses lignes de fuite.
Poème en prose, poème de voyage. Nous suivons la narratrice en Équateur, duquel elle dresse un tableau entre description de ses habitants et paysages et subjectivité d'une expérience intérieure, d'une rencontre avec l'autre mais aussi avec soi.
Ce qui nous touche dans la poésie de Laura Tirandaz, c'est cette capacité à tirer des visages, des portraits, tout en nous laissant dans un certain vague, dans un questionnement ouvert sur notre imagination et notre propre expérience de la rencontre.
Elle joue habilement entre le récit et le poétique. Nous sommes à la fois dans un contexte tout à fait concret et pourtant onirique. Elle cherche à interroger le monde, l'existence, le lien puissant qui nous lie à la Terre, à la mémoire, aux autres.
Voyage empreint de l'enfance et du temps que l'on met à grandir et à perdre une certaine naïveté.
Comment intégrer l'expérience vécue dans une existence en dedans de soi ? Qu'est-ce que cela dit de nous ? À quoi appartient-on finalement : à ses souvenir ou à son présent ? À ses morts ou à cette existence qui continue « quand même » ?
"Le poète aborde ici les inondations terribles qui ont eu lieu en octobre 2015 dans le Sud littoral. Habilement, il assoit une sorte de paysage intérieur qui est englobé dans cette catastrophe naturelle. Quelque chose qui déborde parfois, qui tempête, qui nous submerge, et sur laquelle mettre des mots est difficile.
Mots que les médias de masse, eux, n'ont pas de mal à balancer à tout va, comme l'écho vide d'un lieu éclaté, déformé, de l'humain réduit à des chiffres et des images disparates. Dire l'impossible communication de ce paysage intérieur qui est expérience individuelle fondue dans le global, dans un tout qui nous dépasse. Et la vie qui continue, qui avance, alors que les choses sont déplacées en dedans de soi."
Dans ce recueil composé de six suites de poèmes, Jean-Louis Giovannoni, explore les différents état d'un corps tout à la fois désirant, vieillissant, rêvant. Ce corps, comme tout corps, entame le monde qu'il traverse, qu'il occupe, autant qu'il est lui-même entamé, usé, rudoyé par son environnement et ce, dès son apparition : " Usure sans fin. Recommence dès qu'un corps est annoncé, s'avance. Alors, autant l'encourager avec ses mains. ". Par le biais de cette incessante friction des corps et du monde - que redoublent, par ailleurs, les discrètes frictions langagières de Jean-Louis Giovanonni, langage qui est tout à la fois et d'un seul tenant corps et monde -, est particulièrement interrogé le rapport à l'anatomie déclinant, fléchissant, tout en se tenant à distance d'une esthétique de l'aggravation (corps malade, déchéance), préférant une sorte de prosaïsme serein, décrivant un corps devenu tableau des petites douleurs domestiques, habituelles : " Longuement assis sans protection ni coussin, on devient, au bout d'un certain temps, fessier, dessous de cuisses. Avec l'âge, on ajoute à son tableau de chasse : des bas-de-dos, des genoux, des cervicales... C'est le travail de toute une vie ". Mais il ne faut pas se fier tout à fait à ces énoncés d'allure anecdotique, à cette apparence de déclin tranquille : c'est le portrait d'une inquiétude subtile que dresse l'auteur, jamais imposée frontalement au lecteur.