Cet ouvrage se veut être une réflexion sur la période d'incertitudes, de reculs et de déstabilisations des références que nous traversons, sur la base de mes travaux antérieurs et de mon parcours singulier.
Je fais l'hypothèse qu'elles relèvent des « Lumières » du XVIIIè siècle - notre « patrimoine commun -, non de leur contenu, mais du fait qu'au lieu de contribuer à les faire vivre, nous les avons considérées comme un bloc figé, pétrifié, sclérosé.
L'objectif est de resituer les Lumières - comme toute chose, pensée ou doctrine - dans le temps et le lieu de leur élaboration, sur la base des connaissances théoriques et pratiques de l'époque, afin d'examiner ce qui peut ne plus correspondre à la situation et aux connaissances actuelles, aux besoins et aux attentes, afin de proposer des pistes pour répondre aux enjeux et défis du XXIè siècle.
Cela amène à revenir sur trois paradigmes clés de la connaissance : la dialectique de Marx comme opposition et unité des contraires ; les rapports indissolubles entre unité et diversité ; le double caractère de toute crise, à la fois menace et opportunité.
Sur ces bases, sont revisités dix grands rapports et tensions qui sont au coeur de l'héritage des Lumières :
Nous sommes des êtres de raison, mais aussi de passions, de pulsions la personne humaine est maître et/ou composante de la nature la reconnaissance de l'individuation est inséparable de la socialisation il faut relier local et global, micro et macro l'universalisme doit aller de pair avec l'altérité la liberté et l'égalité sont à imbriquer droits et devoirs sont indissociables le marché doit être remis à sa place l'intérêt général est à conjuguer avec les intérêts individuels le système européen de valeurs progressistes, référentiel dans la mondialisation Il s'agit donc de retrouver toute la fécondité, la dynamique et la créativité des Lumières pour relever les défis du XXIè siècle.
Points forts Redonner vie et dynamisme aux « Lumières » pour répondre aux enjeux et défis du XXIè siècle Penser la complexité avec les outils de la connaissance Revisiter les relations et tensions entre individu et société, appartenances plurielles, nature et culture, valeurs et devenirs...
L'ÉCOLE DISCRIMINE-T-ELLEÂ ?
Le cas des descendants de l'immigration nord-Africaine La discrimination s'est constituée comme un fait majeur au cours des dernières décennies dans différents pans de la société comme l'accès à l'emploi ou au logement. Cet ouvrage est consacré à la discrimination dans le domaine scolaire encore peu explorée. Il s'attache centralement à une population particulière celle des descendants de l'immigration nord-Africaine. L'ouvrage revient globalement leur rapport à la société française sur plusieurs générations en soulignant les entraves à la reconnaissance d'une citoyenneté française pleine et entière. L'école est précisément le lieu où se joue ces processus de reconnaissance ou au contraire d'exclusion et de discriminations. L'ouvrage montre que si l'école ne discrimine pas de façon systématique les élèves descendants de l'immigration nord-Africaine, se produisent bien en revanche en son sein des mécanismes discriminatoires qu'il s'agisse des expressions de racisme entre élèves, parfois entre enseignants et élèves, des mécanismes d'orientation biaisés par l'origine migratoire, ou encore des processus de ségrégation scolaire inter et intra-établissements qui par leur ampleur s'assimilent à des pratiques discriminatoires. Constituent ainsi des discriminations scolaires tous faits actes ou décisions de nature à porter atteinte à la dignité et à l'intégrité des élèves comme de leurs parents et d'exercer une influence potentiellement préjudiciable sur les trajectoires scolaires. L'ouvrage interroge ainsi la capacité de l'école à faire monde commun, dans un contexte où la transmission des valeurs républicaines à l'école est en crise. Il dresse ainsi un état des lieux pour une école plus égalitaire, moins marquée par les rapports d'altérité qui la traversent et la fragmentent, et globalement plus respectueuse du droit de l'éducation.
Choukri Ben Ayed est professeur de sociologie à l'Université de Limoges, membre du GRESCO (Groupe de Recherches Sociologiques sur les sociétés Contemporaines). Il est l'auteur notamment des ouvrages : Grande pauvreté, inégalités sociales et école. Sortir de la fatalité (dir), Paris, Berger-Levrault, 2021, La mixité sociale à l'école : tensions, enjeux, perspectives, Paris, Armand Colin, 2015, École : les pièges de la concurrence. Comprendre le déclin de l'école française (coord avec Sylvain Broccolichi et Danièle Trancart), Paris, La Découverte, 2015, L'école démocratique. Vers un renoncement politique ? (dir), Paris, Armand Colin, 2010, Le nouvel ordre éducatif local. Mixité, disparités, luttes locales, Paris, PUF, 2009
Si la collection « Champ social » des éditions du Croquant réédite le n°47-48 de février -mars 2015 consacré à Pierre Bourdieu de la revue Regards sociologiques, c'est à la fois parce que ce numéro est devenu introuvable, mais surtout parce qu'il rassemble un dossier d'une grande diversité et d'une exceptionnelle densité. La revue Regards sociologiques avait consacré un numéro à Pierre Bourdieu pour honorer une dette symbolique à un chercheur dans lequel elle se reconnaissait et qui l'avait soutenue dès ses débuts, mais surtout parce qu'elle voyait, comme beaucoup d'autres, dans le travail de Bourdieu une contribution majeure au développement de la sociologie. Les contributions rassemblées dans cet ouvrage, agrémentées de l'oeuvre d'artistes qui se sont intéressés à Bourdieu, multiplient les perspectives sur son oeuvre : étude des conditions de production des enquêtes, des concepts et des modèles, développement des concepts-clés, construction d'un modèle cohérent de l'État, retour sur tel aspect de la domination masculine, explicitation de ce qu'implique un engagement politique réflexif, restitution de la vivacité de ses cours et de la cérémonie de remise de la médaille d'or du CNRS, exploration des rapports de Bourdieu avec l'oeuvre de Mauss, de Wittgenstein et de Marx, etc. Un premier ensemble d'articles montre dans quelles conditions Bourdieu réalise ses premiers travaux en Algérie où il est confronté aux effets du colonialisme, du racisme et de la guerre. La contribution d'Andrea Rapini retrace les déplacements de Bourdieu et de Sayad au cours de leur enquête sur Le Déracinement. Elle est complétée par un entretien de Tassadit Yacine avec Jacques Budin (un étudiant enquêteur de l'équipe de Bourdieu et de Sayad). Christian de Montlibert met en évidence un triple combat dans les travaux « algériens » de Bourdieu : contre la méconnaissance des cultures qui coexistent alors en Algérie, contre le mépris raciste et contre des conceptions politiques dont il pensait qu'elles risquaient d'obérer l'avenir. Dans le contexte des années 1980, Remi Lenoir s'interroge ensuite sur « le dit et l'écrit » dans l'oeuvre de Bourdieu : quel statut accorder aux transcriptions de ses cours et séminaires ? Comment restituer par écrit la vivacité verbale qui caractérisait Bourdieu enseignant ? À propos du discours qu'il prononce à l'occasion de la cérémonie de la remise de la médaille d'or du CNRS, Loïc Wacquant souligne l'accent qu'il met sur les tensions entre science, autorité et pouvoir, la puissance symbolique de l'État et les raisons qui conduisent le sociologue à s'engager dans le débat civique. Rémi Lenoir développe les différents niveaux impliqués dans le concept de capital social et montre l'importance qu'a eue pour Bourdieu l'oeuvre de Mauss. À propos du concept d'habitus Gaspard Fontbonne met en évidence les effets épistémologiques de la lecture de Wittgenstein. Quant à la domination masculine, Rose-Marie Lagrave éclaire les contradictions, paradoxes et malentendus engendrés par ce livre : il faut tenir compte, selon elle, du contexte scientifique et du rapport de Bourdieu aux recherches féministes. Un autre ensemble de travaux présente son modèle d'analyse de l'État et s'interroge sur l'engagement politique de Bourdieu. Patrick Champagne analyse le cheminement de Bourdieu pour penser la construction de l'État au fil d'un double processus de concentration des différentes espèces de capital dans un petit nombre de mains. En grande partie par le système scolaire, l'État unifie, homogénéise, standardise les manières de faire et de penser. À propos d'une intervention de Bourdieu sur la crise de l'État, Rémi Lenoir souligne l'importance qu'il attribuait aux transformations des représentations des agents dominants. Lucien Braun, alors directeur des Presses Universitaires de Strasbourg, questionne Bourdieu sur l'avenir de l'autonomie universitaire dans un contexte où l'édition universitaire est de plus en plus dépendante de groupes financiers. Cet ouvrage se clôture par des analyses de la dimension critique de la sociologie de Pierre Bourdieu qui n'a pas cessé d'insister sur la nécessité d'une démarche réflexive. Après avoir rappelé les prises de position « messianiques » de Marx sur l'avènement d'une société sans classes, Gérard Mauger souligne l'importance accordée par Bourdieu au « travail de représentation » dans toutes mobilisations collectives, à commencer par celle du « peuple », objet de prédilection pour des intellectuels. Après avoir rappelé les confusions autour de l'appellation « sociologie critique », Louis Pinto montre qu'elle n'est ni un accessoire, ni un abus de pouvoir, mais une sorte de nécessité qui conduit à s'interroger premièrement sur les pouvoirs, les limites et les prétentions de la connaissance, deuxièmement sur les capacités à dire le vrai des connaissances « indigènes » , troisièmement sur les effets de dévoilement de l'ordre social. Enfin ce livre est ponctué par le travail de deux artistes, Joëlle Labiche et Yves Carreau, qui offrent leurs interprétations des « regards » de Pierre Bourdieu : de ceux de prédécesseurs, de contemporains et de membres de ses équipes de travail.
Ce livre est issu de trois tables-rondes organisées par le Réseau Féministe « Ruptures » à l'occasion des quarante ans de Mai 68. Composé de témoignages de femmes qui, à cette époque, participaient ou non à des mouvements politiques, cet ouvrage présente un double intérêt : il nous fait vivre - ou revivre -l'éclosion puis l'essor du MLF. Ainsi, la singularité de l'évènement est d'abord saisie dans son avènement, son bouillonnement, son incandescence. Pour autant, ces témoignages n'excluent pas un regard distancié permettant une analyse rétrospective et des retours critiques.
À travers la diversité des parcours se dégage une idée clé : Mai 68 est la brèche, le creuset d'où surgira le mouvement de libération des femmes. Très vite, en effet, ces jeunes femmes, actrices et témoins de cet « évènement », éprouvent un malaise : aucune évocation de l'oppression des femmes. Quelle place peuvent-elles trouver dans le langage dogmatique des gauchistes ? Aucune.
Ce livre retrace, sans se vouloir exhaustif, la période algérienne de Pierre Bourdieu : celle qui va de 1956, date de son arrivée dans le Cheliff, région inhospitalière chaleur torride en été et froid glacial, en hiver, à 1961, date de son départ précipité d'Alger, devenue la proie du terrorisme urbain. Il vise cependant à éclairer le lecteur, fût-ce partiellement, à partir de témoignages oraux, véritables archives vivantes, émanant de collègues et d'étudiants qui l'ont côtoyé et partagé avec lui moult angoisses, espoirs et désespoirs dans un climat de tensions politiques dans un conflit de guerre ayant gagne tant le monde rural que dans le monde urbain, à l'instar de la bataille d'Alger, en 1957.
La déconstruction politique, la dislocation économique et la dévaluation symbolique de « la classe ouvrière », les nouvelles stratégies managériales mettant en place une gestion individualisée du monde du travail, le développement du secteur des services, la féminisation des emplois subalternes, l'alignement de la condition des employé(e)s sur celle des ouvriers, la précarisation de la strate inférieure du salariat d'exécution, la croissance des taux de scolarisation ont modifié les contours du « nous » populaire. On s'interroge ici sur les conséquences de ce délitement protéiforme du collectif ouvrier, sur les formes d'individualisation, sur le repli dans l'entre-soi et sur les formes d'une possible recomposition d'un « nous » au sein des classes populaires que suggère le récent mouvement des « Gilets jaunes ».
La pension des fonctionnaires et les retraites du régime général de la Sécurité sociale ou de certains régimes d'entreprise dits « spéciaux » (EDF, RATP...) sont, en tant que salaire continué, des prémices du salaire attaché à la personne, et non pas au poste de travail. Une telle révolution communiste dans l'institution du travail, la bourgeoisie n'en veut pas et lui oppose depuis 1947 la retraite à points des cadres, étendue à tous les salariés du privé dans l'Agirc-Arrco. Depuis la fin des années 1980, les réformateurs détricotent le salaire continué pour le transformer en revenu différé, calculé sur la base de points de retraite accumulés sur toute la carrière professionnelle. C'est faute de se battre pour l'extension à tous du meilleur salaire continué dans la pension de retraite que les syndicats sont battus depuis trente ans.
Cet ouvrage est une contribution à la préparation des futures mobilisations qui seront nécessaires pour contrer les retraites à points.
Le Covid-19 a bouleversé le cours de nos existences. Elle ne le fait cependant pas de façon uniforme au sein de la structure sociale, ce que ce livre défend en mettant en lumière les formes prises par la crise sanitaire pour les salarié·es continuant de travailler sur site au plus fort des restrictions, en grande majorité issu·es des classes populaires. Largement invisibilisée, leur expérience de la pandémie est celle d'un accroissement de la domination, qui passe par la dégradation de leurs conditions de vie et de travail, combinant intensification brutale des activités productives et violente surexposition au virus. Objets d'un discours public inédit de valorisation qui les a fait·es « salarié·es essentiel·les » ou « de la seconde ligne », ces salarié·es expérimentent des rapports au travail pluriels où l'utilité sociale ne compense jamais le sentiment de dépréciation, de mépris et la contrainte économique, dans ces métiers faiblement rémunérés et considérés.
Dessin de couverture : Alain Frappier 1974, six ans après la grève générale de Mai 1968 et ses 10 millions de grévistes, le souffle révolutionnaire est toujours présent.
Une longue grève, celle des ouvrières et des ouvriers de Lip à Besançon, vient de s'achever. Par ses atours autogestionnaires (« on fabrique, on vend, on se paie » clament les grévistes), elle a reçu un important soutien populaire tant elle a pu préfigurer une « nouvelle légalité ouvrière », mettant directement en cause l'ordre capitaliste.
Charles Piaget, syndicaliste CFDT de Lip, militant PSU de Besançon, en a été propulsé porte-parole. Il a le sens et le goût du collectif.
En cette année 1974, au sein du « peuple de gauche », les questions se posent concrètement, taraudant les organisations politiques comme les syndicats : Comment faire basculer la France dans le socialisme ? S'agit-il de passer par la voie des urnes ou celle des luttes ? Faire le choix des réformes ou de la révolution ? Quel chemin emprunter pour arriver à ce fameux « débouché politique » qui se cherche depuis Mai ? Quelle organisation, quel parti, quelles alliances sont nécessaires pour cela ?
Ces questions ne sont pas neuves pour toutes celles et tous ceux qui ont l'émancipation et l'égalité au coeur, qu'anime la volonté de rompre avec un capitalisme mortifère, de changer le monde et la vie. Elles conservent encore aujourd'hui leur pertinence et méritent d'être remises sur le métier, encore et encore.
En 1974, c'est en syndicaliste, en militant politique, que Charles Piaget propose dans les textes de ce recueil des pistes pour répondre aux enjeux qui se posent alors. Les retrouver aujourd'hui permet de remonter le fil du temps pour mieux appréhender l'avenir d'un « socialisme de tous les jours ».
Ce cahier contient :
•Une introduction politique et historique de Théo Roumier, « Le socialisme, tous les jours » •Deux textes de Charles Piaget :
- « Il faut rejeter toute attitude de démission », entretien donné à Politique Hebdo du 3 octobre 1974 - « Que signifie aujourd'hui militer pour le socialisme, être révolutionnaire », texte de son intervention au meeting « Le PSU répond à vos question » du 24 octobre 1974 à la Mutualité •Un cahier iconographique en couleur •Une chronologie détaillée •Des notes biographiques •Une bibliographie Charles Piaget est une figure marquante de la grève des Lip à Besançon en 1973. Militant PSU et CFDT, il incarne nationalement cette lutte ouvrière parmi les plus importantes des « années 68 ». Il est brièvement membre de la Direction politique nationale du PSU sans abandonner son militantisme syndical et de terrain. Dans les années 1990 il anime l'antenne bisontine de l'association Agir ensemble contre le chômage (AC!). Il est aujourd'hui retraité et continue de transmettre la mémoire des Lip.
Théo Roumier a assuré la conception et la présentation de ce cahier de l'ITS. Syndicaliste SUD éducation en lycée professionnel, il est membre du Comité éditorial de la revue de l'Union syndicale Solidaires, Les Utopiques et auteur de plusieurs contributions sur l'histoire récente du syndicalisme et du mouvement libertaire et révolutionnaire.
Le Sahel est une catégorie, comme toutes les catégories qui s'appliquent à l'Afrique, ethniques et géographiques entre autres, qui semble aller de soi. Evoquant les famines et les sécheresses des années 1970, les révoltes et insurrections qui se produisent dans toute cette zone depuis des décennies, le Sahel est vu avant tout comme une terre dangereuse. Peut-être en va-t-il ainsi parce qu'il s'agit d'une catégorie instable, hybride, intermédiaire entre le désert et la savane, entre le nomadisme et la sédentarité, entre des populations «blanches» (Touaregs, Maures), des populations «rouges» (Peuls) et des populations «noires», entre l'animisme et l'islam. Impossible donc de définir de façon stricte ce qu'il en est du Sahel, de ses limites, de ce qui le caractérise en propre. Il s'agit d'une notion totalement arbitraire qui ne doit son existence qu'à la consolidation que lui ont fait subir un certain nombre de savants coloniaux et dans la foulée des écrivains et des cinéastes africains dont le plus célèbre d'entre eux est Mohamed Mbougar Sarr, lauréat du prix Goncourt 2021 pour son roman «La plus secrète histoire des hommes». L'hypothèse de ce livre est donc que les problèmes de ce qui forme aujourd'hui le Sahel (en particulier la défaite de l'armée française) sont en grande partie le résultat d'une représentation figée de cette région géographique d'Afrique de l'ouest. Points fortsÂ: invention coloniale du Sahel, critique des «intellectuels de cour» sahéliens, critique la littérature sahélienne comme porteuse d'une attitude pro-soufie, pro-animiste islamophobe, fémo et homonationaliste. Bio-bibliographie Anthropologue, Directeur d'études émérite à l'EHESS, ancien rédacteur en chef des «Cahiers d'études africaines», spécialiste du Mali et de l'étude de l'ethnicité, de l'identité et du métissage. Principaux ouvrages Au coeur de l'ethnie : ethnies, tribalisme et État en Afrique, avec Elikia M'Bokolo, La Découverte, 1985, rééd. La Découverte poche, 1999. Logiques métisses : anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990, rééd. 1999. Vers un multiculturalisme français : l'empire de la coutume, Aubier, 1996, « Champs », 2001. Branchements. Anthropologie de l'universalité des cultures, Flammarion, 2001, « Champs », 2005. L'Occident décroché. Essais sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008, Fayard/Pluriel, 2010. Rétrovolutions. Essais sur les primitivismes contemporains, Paris, Stock, 2010. Avec Souleymane Bachir Diagne, En quête d'Afrique (s). Universalisme et pensée décoloniale, Paris, Albin Michel, 2018.
AUTEUR Jacques Fath est un spécialiste des relations internationales, des enjeux de la sécurité et de la conflictualité mondiale. Son approche alternative est résolument critique des politiques et des courants de pensée dominants. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur ces questionsÂ: - «Penser l'après. Essai sur la sécurité internationale, la puissance et la paix dans le nouvel état du monde, Les éditions Arcane 17, 2015 Â- «Terrorisme. Réalités, causes et mystifications idéologiques», éditions du croquant, 2019 - «Chaos. La crise de l'ordre international libéral. La France et l'Europe dans l'ordre américain», éditions du croquant, 2020. PRÉSENTATION Il est entendu que l'accablante responsabilité d'une guerre ne peut échapper à celui qui décide de la déclencher, de la poursuivre et de l'intensifier en dépit de ses conséquences tragiques, et des risques réels qu'elle fait peser pour l'ordre du monde. Alors que le multilatéralisme, l'ONU, l'exigence diplomatique et de sécurité collective ont déjà tellement reculé dans les relations internationales. Le processus engagé le 24 février 2022 est lourd de signification sur les stratégies et les visées des uns et des autres. Il en dit beaucoup sur les prétentions du régime de Poutine, mais aussi sur les limites auxquelles ses ambitions de puissance néo-impériales se sont rapidement heurtées. Cette guerre en Ukraine, cependant, n'est pas le seul produit des «délires paranoïaques»... d'un seul homme, fut-il Président d'une puissance qui compte, y compris sur le plan militaire. La pensée unique et les caricatures idéologiques qui n'ont cessé d'accompagner ce retour de la guerre en Europe, fait silence sur les trente années d'une page d'histoire déterminante, qui a contribué à réunir toutes les conditions d'une escalade des hostilités et d'un conflit de haute intensité dont le peuple ukrainien paie le prix le plus élevé. Comprendre toutes les causes de cette guerre, comprendre l'erreur stratégique majeure de Poutine, le rôle décisif des États-Unis, de l'OTAN et plus généralement des puissances occidentales est une responsabilité au regard des effets de transformations globales dont ce conflit est porteur quant à la situation internationale et au monde de demain.
Depuis quelques décennies, une série d'élus, de représentants professionnels, d'entrepreneurs, d'agents d'influence ou d'experts s'efforcent de faire reconnaître un problème: les emplois seraient particulièrement durs à pourvoir en France, constituant une menace redoutable pour l'économie nationale. On n'échappe désormais plus à la litanie des centaines de milliers d'emplois non pourvus, régulièrement serinés dans des journaux, à la télévision, à la radio ou sur des réseaux sociaux. Ce problème prendrait même la forme d'un paradoxe, puisque les difficultés de recrutement atteindraient des sommets... en même temps que le nombre de chômeurs. Ces derniers sont donc mis en cause et accusés de fainéantise, ce qui en motive certains à abaisser encore plus le salaire qu'ils espèrent toucher. Pour dénouer le paradoxe apparent entre une multitude d'offres et une multitude de chômeurs, les porte-paroles de cette cause n'envisagent guère de concessions aux candidats et aux salariés. Ils privilégient plutôt une dérégulation du marché de l'emploi et une dégradation des conditions de travail dans les entreprises. Au risque de rendre encore plus difficiles les recrutementsÂ? Bien entendu, car ce discours est éminemment idéologique et mobilisé pour justifier un programme politique libéral. Les pages qui suivent s'inscrivent radicalement en faux contre cette thèse. Motivées par un certain agacement face à la nature du débat public et à l'admission de thèses farfelues, sans aucun fondement, elles constituent une réponse point par point. Elles mettent en doute le volume des emplois non pourvus, qui demeure résiduel. Elles soulignent l'incohérence des discours à ce propos, qui se contredisent mutuellement. Elles recherchent les responsabilités d'une telle situation, au-delà de la culpabilisation des chômeurs, bien commode pour faire oublier les modes de recrutement en vigueur. Elles analysent la manipulation politique du sujet par des élus ou des représentants du patronat, pour obtenir des réformes sans aucun rapport avec la question. Par le biais de cette étude, l'ouvrage poursuit plusieurs objectifs. En premier lieu, il vise à dissiper des malentendus, des raccourcis ou des présentations fallacieuses sur le sujet du non-pourvoi des offres. En rappelant plusieurs données fondamentales et en discutant leur signification, il éclaire un débat où de nombreux termes ou chiffres sont assénés sans explication. Il compile ainsi la littérature sociologique sur le sujet et la croise avec les terrains d'enquête de l'auteur. Cela permet de constituer une synthèse empiriquement fondée des motifs pour lesquels un emploi peut n'être pas pourvu, ainsi que des motifs qui conduisent néanmoins des individus à en profiter pour blâmer les chômeurs.
Le livre donne à lire des histoires de militants. Ce sont des récits passionnants sur des engagements pour rendre meilleur le monde et plus légère la vie. Des combats tristement perdus et des victoires arrachées parfois avec les dents qu'un sourire franc laisse briller au milieu de la figure. Ces récits ont été laborieusement et patiemment livrés à l'auteur par des militantes et des militants bataillant dans les domaines les plus divers, de la culture au sport, de la politique au logement, de l'hygiène du linge à la réinsertion après un passage en prison, de la protection de la vie des adolescents face à la violence du narcotrafic à la difficile relation entre religion et politique au sein de notre démocratie. L'auteur a suivi les gens portant une parole et une voix sur l'espace public, il les a accompagnés descendre sur l'arène des luttes sociales défendre leurs intérêts, et surtout, il les a vu enrichir des espaces de vie dans un quotidien que d'autres condamnent à la relégation.
Le livre est composé de récits de vie et d'expériences militantes dans des quartiers populaires d'Aubervilliers, Lille, Roubaix, Toulouse, Montpellier et Strasbourg. Ces expériences s'intègrent dans un réseau de militants soutenu par la Fondation Abbé Pierre dans plusieurs grandes villes de France que l'auteur a accompagnés pendant six dans les rencontres qu'ils organisent. Véritable ethnographie, l'enquête est aussi nourrie que minutieuse. L'auteur a choisi une forme narrative qui plonge le lecteur immédiatement dans la vie de ces espaces sociaux plus souvent décriés que véritablement connus. A travers un échange horizontal avec les habitants et les militants, le sociologue donne un accès direct aux enjeux politiques locaux et nationaux sur les trente dernières années.
Les récits sont accompagnés d'un texte introductif qui fournit les repères analytiques sans lesquels le lecteur risquerait d'entrer sans boussole dans une vaste fresque sociale. La bibliographie académique est à peine suggérée en arrière-plan, distillée au compte-gouttes quand elle est indispensable. En revanche, toutes les données historiques, légales, statistiques, de repères économiques sont intégrées aux textes donnant accès à la lecture critique par une écriture qui ne vise pas l'enchantement.
Denis Merklen est sociologue, professeur à l'Université Sorbonne Nouvelle et chercheur au Centre de recherche et de documentation sur les Amériques (CNRS-USN). Il est l'auteur de nombreux livres dont Quartiers populaires, quartiers politiques (2009), Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques (2020), En quête des classes populaires (2017), La diagonale des conflits (2018).
Présentation du livre :
Au moment où l'économie mondiale est traversée par une succession de crises d'ampleur et d'intensité sans précédent, les produits de proximité suscitent un intérêt grandissant. Pour faire face aux risques induits par la mondialisation des échanges et la spécialisation géographique du travail, la relocalisation des activités de production est aujourd'hui plébiscitée. Dans l'agroalimentaire, la pandémie a donné un nouveau souffle aux « circuits courts » qui cherchent à réduire la distance marchande entre agriculteurs et consommateurs. Ce livre restitue le processus d'institutionnalisation de ces marchés ainsi que les multiples investissements dont ils font l'objet.
L'enquête sur laquelle se base cet ouvrage pointe dans un subtil jeu d'échelles un phénomène paradoxal : l'intervention d'un certain nombre d'intermédiaires comme condition de félicité de marchés qui valorisent un rapprochement entre les agriculteurs et les consommateurs. Elle montre à quel point le succès des « circuits courts » s'explique par l'intervention de militants, chercheurs, et agents du ministère de l'Agriculture qui, souvent malgré eux, participent dans le même temps à leur réappropriation par les acteurs centraux du secteur agricole.
Points forts de l'ouvrage :
Il est basé sur une enquête multi-située associant méthodes qualitatives et quantitatives il porte sur les marchés de proximité que la crise actuelle a replacé au coeur de l'actualité il offre un regard original sur les « circuits courts alimentaires » qui plébiscitent un rapprochement entre les agriculteurs et les consommateurs.
Enfin, l'ouvrage révèle les conditions de réussite de ces circuits, tout comme leurs limites et invite ainsi à questionner la portée de cette proximité retrouvée dans d'autres secteurs, y compris ceux qui relèvent de l'industrie manufacturière Biographie de l'auteur :
Jean-Baptiste Paranthoën est post-doctorant à l'Université de Reims Champagne Ardennes. Membre du Centre d'Etudes et de Recherches sur les Emplois et les Professionnalisations et associé au Centre d'Economie et de Sociologie Appliquées à l'Agriculture et aux Espaces Ruraux, ses travaux portent sur les modèles de développement économique alternatifs.
Alors que se multiplient les initiatives de régulation des GAFA, l'ouvrage offre un retour historique utile sur l'évolution des politiques numériques et les premières expérimentations de régulation de l'internetÂ: il permet de mettre en perspective les projets gouvernementaux et offre plusieurs prises conceptuelles pour les analyser. La forte saillance des sujets du numérique au sens large dans l'espace public- des big data à l'intelligence artificielle - pourra plus généralement contribuer à l'attention sur l'ouvrage.
L'ouvrage se veut d'abord à destination des étudiants et chercheurs en sciences sociales, issus de disciplines aussi diverses que la sociologie, la science politique, l'histoire, le droit ou les sciences de la communication. L'enquête dont il est issu a aussi été présentée devant des publics non-universitaires : journalistes, membre d'associations, fonctionnaires et acteurs numériques ont manifesté un grand intérêt pour la publication d'un tel ouvrage.
Assassiné le 1er décembre 1916 alors qu'une insurrection de grande ampleur avait soulevé la majeure partie des populations du Sahara et du Sahel contre l'occupant français, Charles de Foucauld a inspiré dès avant sa mort les fabricants de littérature sulpicienne. Leur représentant le plus encombrant reste René Bazin, qui a publié en 1921 Charles de Foucauld, explorateur du Maroc, ermite au Sahara, monument de componctueuse et fate médiocrité dont Louis Massignon devait écrire dans une lettre du 16 septembre 1959 à Jean-François SixÂ: «Foucauld coule dans le gouffre de la bondieuserie S.ÂSulpice. [...] Il y a des jours où je regrette de n'avoir pas été réquisitionner pour sa Vie Louis Bertrand au lieu du mélibéen René Bazin. [...] Il nous aurait épargné les bonbons de candi bénit de la rue de Sèvres.» Le grand arabisant se faisait quelques illusions sur Louis Bertrand, si l'on en juge par un lamentable Saint Augustin publié en 1913. Quant à Jean-François Six, sirupeux et prolixe biographe de Foucauld, s'il a complaisamment rapporté la mise en garde de Massignon dans son Aventure de l'amour de Dieu (1993), il n'a pas su l'entendre. Le flot sulpicien ne s'est jamais tari jusqu'à aujourd'hui, charriant année après année des ouvrages qui ont épaissi plutôt qu'éclairci l'énigme d'une âme qu'on devine hantée par la mélancolie, la haine de soi, l'intransigeance et une sombre démesure. Quelques procureurs leur ont fait face, beaucoup moins nombreux mais pas plus respectueux des faits. On pouvait espérer que les choses changeraient une fois la béatification acquise, puisqu'il n'était dès lors plus besoin ni de défendre ni d'attaquer une cause désormais entendue, mais il n'en a rien été. La célébration du centenaire de sa mort a même transformé la cohorte des thuriféraires en une légion où le mélibéen a voisiné avec le savonarolesque. Plus récemment, les procureurs, jusque-là relativement discrets, ont vu leur zèle avivé par la vogue actuelle de déboulonnage de statues et la perspective de la canonisation prochaine de l'ermite de Tamanrasset. À en croire certains d'entre eux, Foucauld aurait été le «défenseur d'une guerre totale contre l'Allemagne lors de la Grande Guerre» ; pour d'autres, il aurait eu une «implication directe dans les opérations militaires coloniales contre les tribus rebelles» et aurait été «l'auxiliaire incomparable» de Laperrine, commandant supérieur des territoires sahariens jusqu'en 1910. Il y a aussi ceux selon lesquels il aurait avancé des «idées en faveur d'une désorganisation des structures sociopolitiques touarègues». Foucauld «défenseur de la guerre totale» ? Plaisante formule. Totale, la guerre l'était, et Foucauld ne pouvait qu'en prendre acte. Il est un fait qu'il envoyait des lettres exaltées à ses amis engagés sur le front, mais son exaltation restait épistolaire, car l'essentiel de son temps était consacré à la mise au net de ses travaux linguistiques. Ses journées de travail duraient souvent plus de onze heures, et le résultat en est une oeuvre dont il est difficile d'affirmer comme le font certains qu'elle est «indissociable de la conquête coloniale». Car, dans les faits, elle s'en dissocie parfaitement. Ses lettres à ses amis sur le front, tout comme ses relations avec les officiers sahariens, font partie de l'époque et elles sont banales une fois remises dans leur contexte. En revanche, ses travaux linguistiques, c'est-à-dire, pour l'essentiel, les deux tomes de ses Poésies touarègues et les quatre tomes de son Dictionnaire touareg-français, sont encore une référence pour tous les spécialistes, y compris touaregs. C'est pour une bonne part à cette oeuvre qu'est consacrée le présent ouvrage. Quant à l'implication «directe» dans les opérations militaires, c'est une pure invention. Et les lettres à Laperrine ne justifient pas le qualificatif d'«auxiliaire incomparable» que Foucauld s'est vu décerner après leur parution. Surtout si l'on songe qu'elles datent d'un temps où Laperrine, revenu en France, n'avait plus aucune responsabilité au Sahara. L'ermite avait l'habitude d'informer ses amis officiers de la situation du Sahara, mais il n'était guère en cela qu'une sorte de gazetier dont les «renseignements», qui mettaient plusieurs semaines à arriver à leurs destinataires, n'étaient ni exploitables ni d'un grand intérêt opérationnel. De plus, affirmer comme nous l'avons lu récemment que «ses renseignements fournis à l'armée coloniale ont influencé la stratégie de conquête du pays touareg» est un anachronisme. Lorsque Foucauld atteint le pays touareg en février 1904, le chef et futur amenûkal Mûsa ag Amastan vient de signer un traité avec les militaires. En d'autres termes, la «conquête» était déjà chose faite avant même son arrivée sur place. Les seuls auxquels il est difficile de donner totalement tort sont ceux pour qui il aurait songé à désorganiser les structures sociopolitiques touarègues. Sauf à remarquer cependant, comme Paul Pandolfi le fait observer dans sa contribution, que les officiers qui seuls auraient été en mesure de procéder à cette réorganisation était d'un avis contraire, qui seul a prévalu. D'une manière générale, il n'avait guère d'influence sur ses amis militaires. Ainsi, le plan d'organisation de l'annexe du Tidikelt qu'il avait échafaudé est resté lettre morte, comme le remarque là encore Paul Pandolfi. De même, lorsque le sous-lieutenant Constant voulut donner suite aux propositions de Foucauld pour le réaménagement du fort Motylinski, il fut désavoué par son supérieur, le capitaine de La Roche, pour qui tout cela n'était qu'«hérésie tactique». De même encore, la correspondance du lieutenant-colonel Meynier laisse deviner son scepticisme à propos de renseignements d'ailleurs très vagues transmis par Foucauld en août 1914. De toute façon, ni Foucauld ni ses supérieurs religieux n'avaient alors un quelconque pouvoir décisionnaire. Il ne pouvait que s'ouvrir de ses idées à ces intermédiaires, ces acteurs de terrain qu'étaient les officiers qui intervenaient alors dans l'Ahaggar. Mais, même dans les quelques cas où ces derniers relayèrent ses demandes, les autorités supérieures, tant à Alger qu'à Paris, y opposèrent une fin de non-recevoir. Voilà de quoi relativiser le rôle et l'influence politique de Foucauld. Voir en lui une sorte de maître à penser de la politique saharienne de la France et le lointain inspirateur de cette éphémère Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) que la France créa en 1957 est manquer du sens des proportions. Pour ce qui est des idées coloniales, il les a assurément partagées. Mais ses avis tranchaient sur la bonne conscience alors de mise. C'est ainsi que, dans une lettre de 1912, il conseillait à Mûsa ag Amastan de faire apprendre le français aux siens, pour qu'ils «puissent, au bout d'un certain temps, jouir des mêmes droits que les Français, avoir les mêmes privilèges qu'eux, être représentés comme eux à la Chambre des députés, et être gouvernés en tout comme eux». Il ne concevait certes pas l'avenir des Touareg ailleurs que dans un ensemble français, mais au moins leur y assignait-il, à terme, celui de citoyens à part entière. En février 1956 encore, un président du Conseil s'est fait conspuer par les ultras d'Alger pour beaucoup moins que ça. Il écrivait aussi en cette même année 1912 : «Si, oublieux de l'amour du prochain commandé par Dieu, notre Père commun, et de la fraternité écrite sur tous nos murs, nous traitons ces peuples [colonisés] non en enfants, mais en matière d'exploitation, l'union que nous leur avons donnée se retournera contre nous et ils nous jetteront à la mer à la première difficulté européenne.» Sans doute ne voit-il là dans les colonisés que des enfants, mais étaient-ils nombreux, en 1912, ceux qui considéraient que, même dans les colonies, la « fraternité écrite sur tous nos murs » ne devait pas rester un vain motÂ? Que Foucauld ait été un homme de son temps, nul ne songe à le nier. Il est toujours utile de détailler ce trait du personnage, et les contributeurs du présent ouvrage, notamment Jean-Louis Marçot et Jacob Oliel, ne s'en sont pas faute. Mais en faire un «ultra» de la colonisation est absurde. Foucauld avait pourtant suscité quelques authentiques travaux d'historiens, qui depuis deux ou trois décennies ont répandu de lui une image plus complexe et plus humaine que l'icône assez plate accréditée jusque-là par les tâcherons de l'hagiographie. De portées et d'inspirations très diverses, tous ces travaux s'accordent au moins à reconnaître que, quels que soient par ailleurs ses titres à l'admiration et même à la ferveur, quelles que soient également les réserves qu'ils puissent susciter aujourd'hui, cet homme dont l'oeuvre linguistique est utilisée aujourd'hui encore par tous les spécialistes aura été une figure majeure des études berbères. Parmi tous ces travaux, une place particulière doit être faite à ceux du regretté Antoine Chatelard. C'est pourquoi, avec l'aimable autorisation de la revue qui l'avait d'abord publié, nous avons choisi de republier ici (sous sa forme d'alors) un texte datant de 1995 et qu'on doit tenir pour fondateur puisque c'est le premier texte où le travail linguistique de Foucauld ait fait l'objet d'une étude proprement scientifique. Mentionnons également, du même Antoine Chatelard, La mort de Charles de Foucauld (2000) ouvrage où, d'une part, il s'efforçait de reconstituer les circonstances de la mort de Charles de Foucauld et où, d'autre part, il jetait une intéressante lumière sur la façon dont la légende de «Foucauld martyr» avait pu se construire. Mentionnons aussi par ailleurs le livre sobre et remarquablement documenté de Pierre Sourisseau (Charles de Foucauld. Biographie, Paris, Salvator, 2016), dont on regrette seulement que les travaux linguistiques de Foucauld et ses interrelations avec les Touaregs n'y ont peut-être pas tout à fait la place qu'elles mériteraient. L'article d'Antoine Chatelard est suivi ici de deux textes où Dominique Casajus a tenté de le prolonger sur un ou deux points, tandis que, de son côté, Aurélia Dussere s'est attachée au travail de Foucauld comme explorateur du Maroc et que Marc Franconie propose un commentaire de quelques-uns des croquis qu'il a dressés au cours de son voyage d'exploration ainsi qu'un aperçu de son travail de météorologue. Le volume s'achève par deux contributions, dues à Emmanuel Alcaraz et à Dominique Casajus, qui entendent donner un aperçu de l'image, souvent infondée, que certains milieux se font aujourd'hui de Charles de Foucauld. L'étude historique du «cas» Foucauld doit se poursuivre, et le dossier présenté ici veut être une contribution à ce cette tâche. Et, en historiens que nous essayons d'être, notre rôle n'est pas de déboulonner des statues, ni, du reste, d'en édifier. Et l'image parfois floue que nous avons essayé de recomposer n'est ni tout à fait noire, ni tout à fait blanche.
La compréhension du mouvement des Gilets jaunes passe par celle des transformations des classes populaires. Il est vrai qu'elles ne sont pas ce que «la classe ouvrière» n'a jamais été ailleurs que dans l'imagination des intellectuels, mais ouvriers et employées représentent encore plus de la moitié de la population active. Par ailleurs, l'effritementÂde la condition salariale au cours des quatre dernières décennies, l'extension du chômage de masse, la précarisation et l'insécurité sociale qui en résultent ont réactivé la menace de «déstabilisation des stables», creusant le clivage entre «établis» et «marginaux». Le déclin post-soixante-huitard de la croyance au messianisme ouvrier, l'essor de la «petite bourgeoisie nouvelle» et la promotion de nouvelles causes dont elle se définit comme l'avant-garde permettent de rendre compte de l'invention d'une représentation disqualifiée des classes populaires dont la figure du «beauf» rassemble les stigmates. Ce genre de manifestations de la domination et du mépris de classe engendre à la fois l'humiliation et la colère, souvent tacites, des dominés et un ensemble de pratiques qu'inspire le souci de «respectabilité». Résurgence inattendue des classes populaires supposées disparues, le mouvement desÂGilets jaunes semblait d'autant plus insolite qu'il s'était mobilisé en dehors des organisations syndicales et politiques et qu'il semblait, de ce fait, incontrôlable. La peur des «classes dangereuses» ressurgissait dans les beaux quartiers. La mobilisation des Gilets jaunes était d'emblée confrontée à un déploiement de violence physique et symbolique spectaculaire. L'éventuelle convergence entre les Gilets jaunes et le mouvement de grève contre la réforme des retraites remettait à l'ordre du jour la question de la représentation. Les «black blocs» et la mouvance anarchiste l'élargissait aux thématiques de «l'horizontalité», de «la violence émeutière» et de «l'insurrection». Gérard Mauger, sociologue, est directeur de recherche émérite au CNRS, chercheur au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CNRS-EHESS-Paris I)
Les trois points forts du livre 1. Cet ouvrage est, pour l'essentiel, le résultat d'un minutieux travail d'enquête dans le Caucase musulman. Il apporte un éclairage original sur une région de la Fédération de Russie méconnue, depuis l'époque brejnevienne jusqu'à aujourd'hui. Il permet de découvrir les populations des villages de montagne du Daghestan, république voisine de la Tchétchénie. Ce livre donne la parole à des populations d'ethnies et de classes diverses: enseignants, directeurs d'école, anciens kolkhoziens, nouveaux imams tout comme à des chercheurs, anthropologues, arabisants, historiens et géographes. 2. Rapport aux autorités locales et méthodes soviétiques de la recherche Par sa participation à des «expéditions» sur le terrain organisées par l'Académie des Sciences de l'URSS, l'auteure est régulièrement confrontée aux autorités du Parti sur place car elle dépend directement du chef d'expédition, qu'aux autorités centrales du Daghestan qui contrôlent tout déplacement dans les régions et l'accès aux archives. Ce livre revient sur les convocations par le KGB pour rendre compte de son travail et de ses enquêtes. Il revient également sur les stratégies qu'elle a su mettre en place pour contrecarrer les interdictions d'accès aux archives et à certaines régions du pays. 3. Enfin,la force de ce livre réside dans l'authenticité des portraits dressés sur la base d'entretiens: un ancien directeur d'école membre du Parti devenu salafiste après la chute de l'URSS; un ancien responsable de la propagande anti-religieuse devenu imam ; un spécialiste de l'athéisme à l'université devenu titulaire de la chaire d'islam ; des villageoises sur le parvis d'une mosquée qui expriment leur colère contre le nouveau régime. Ces portraits permettent d'approcher au plus près le vécu d'une population annexée par l'empire russe puis soviétisée. Davantage qu'ailleurs en Russie, la population est confrontée aux difficultés de la période post-soviétique : pauvreté grandissante, chômage, violence, attentats... Frédérique Longuet Marx, anthropologue, mène ses recherches de terrain dans le Caucase musulman depuis le milieu des années 1980. Elle enseigne la sociologie et l'anthropologie pendant près de trente ans à l'Université de Caen. Elle est également chercheur-associée au CETOBAC (Centre d'études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques), chargée pendant de très nombreuses années d'un séminaire sur les musulmans du Caucase à l'INALCO puis à l'EHESS, Au moment des guerres de Tchétchénie, elle publie en 2003, Tchétchénie, la guerre jusqu'au dernierÂ? aux éditions Mille et une nuits.
 Communauté ou société. Tonnies versus Hobbes Jean Jacob, né en 1964, est enseignant-chercheur en science politique à l'université de Perpignan. Il a collaboré à de nombreuses revues et publié notamment Les sources de l'écologie politique, Arléa-Corlet, 1995 ; Histoire de l'écologie politique, Albin Michel, 1999, trad. jap., Ryokufu Shuppan, 2005 ; Le retour de « l'Ordre nouveau » Les métamorphoses d'un fédéralisme européen, Librairie Droz, 2000 ; L'Antimondialisation Aspects méconnus d'une nébuleuse, Berg International Editeurs, 2006.              On peine aujourd'hui à imaginer à quel point l'ouvrage Communauté et société du sociologue allemand Ferdinand Tonnies a bouleversé le champ académique au début du XXème siècle. Sciences sociales et parfois sciences humaines ont décliné à foison la thématique, tandis que l'opinion publique s'en emparait, en lui donnant une couleur sombre et parfois funeste (le nazisme, Vichy), en dépit des avertissements de son auteur. Au fil du temps, la distinction académique s'est ainsi mue en lieu commun équivoque, puis trouvée marginalisée voire exclue du champ scientifique. On s'est alors empressé d'oublier que Max Weber avait affiné la distinction, qu'Emile Durkheim lui avait subtilement substitué une autre opposition conceptuelle, et que la politique comparée américaine avait avec acuité, lors de ses premiers pas maladroits, tiré utilement profit de cette oeuvre.
           On a surtout oublié que l'oeuvre de Ferdinand Tonnies avait, comme aucune autre auparavant, sérieusement amendé la fable de Thomas Hobbes, le fameux Léviathan, à laquelle Tonnies reconnaissait une belle rigueur mais à laquelle il opposait aussi la persistance du fait communautaire. Car c'est bien la figure d'un individu possessif cher à Hobbes que l'on trouve omniprésente dans la Gesellschaft dépeinte sous des traits rêches par Tonnies. Tandis que maints travaux ethnologiques (Maine, Gierke), philosophiques (Spinoza, Schopenhauer, von Stein...) lui avaient offert l'occasion de souligner que la Gemeinschaft repose sur une entraide naturelle entre des personnes respectueuses de leurs différences. On ne peut aujourd'hui que mesurer les dégâts de cet oubli, tant la majestueuse autorité de l'Etat occidental peine sur tous les continents à se substituer durablement à maintes communautés.
Pourquoi la revue SalariatÂ? Nicolas Castel Mathieu Grégoire Jean-Pascal Higelé Maud Simonet Le salariat a longtemps eu mauvaise presse. Au milieu des années 1860, dans un chapitre inédit du Capital, Karl Marx écritÂ: «Dès que les individus se font face comme des personnes libres, sans salariat pas de production de survaleur, sans production de survaleur pas de production capitaliste, donc pas de capital et pas de capitaliste! Capital et travail salarié (c'est ainsi que nous appelons le travail du travailleur qui vend sa propre capacité de travail) n'expriment que les deux facteurs d'un seul et même rapport». Qui dit salariat dit capitalisme et inversement. Marx invite ainsi les travailleurs et les travailleuses réuni·es dans la Première internationale, à substituer au slogan «un salaire équitable pour une journée de travail équitable», le mot d'ordre: «Abolition du salariatÂ!». Près d'un siècle et demi plus tard non seulement le salariat n'a pas été aboli, mais il est devenu désirable pour nombre d'individus et d'organisations syndicales. Cela ne fait guère mystère: le salariat observé par Marx et ses contemporains n'est plus celui que nous observons aujourd'hui. En tant que rapport social, le salariat a été un champ de bataille. Il a donné lieu à des stratégies d'émancipation qui se sont parfois - souventÂ! - traduites en victoires et en conquêtes. Les institutions du salariat que nous connaissons aujourd'hui sont les buttes témoins de ces batailles passées. La revue Salariat nait d'un questionnementÂ: les sciences sociales ont-elles pris la mesure d'une telle transformationÂ? Certes, l'idée d'une bascule dans l'appréciation du salariat - de condition honnie à statut désiré - est largement partagée: l'inscription puis le retrait de la revendication «d'abolition du salariat» dans les statuts de la Confédération générale du travail sont souvent mobilisés comme manifestation de ce mouvement historique. Mais on peut se demander si la façon dont les sciences sociales conçoivent le salariat a, parallèlement, évolué en prenant toute la mesure de ses transformations historiques qui, précisément, expliquent ce basculement radical d'appréciation. C'est en partant de l'explicitation de ce paradoxe que nous souhaitons introduire le projet intellectuel de la revue Salariat. Pourquoi questionner le «salariat»Â? Le salariat du xixe siècle n'est pas le salariat du xxe siècle et ne sera pas, on peut en faire l'hypothèse, celui du xxie siècle. Si au premier abord, il s'agit d'un rapport social consubstantiel au capitalisme, on aurait tort d'arrêter là l'analyse: le salariat s'est transformé en devenant, par certains aspects, plus complexe et, par d'autres, plus simple. Le salariat est d'abord devenu plus complexe car le rapport social salariés/employeurs ne s'exprime plus à la seule échelle de la fabrique ou de l'entreprise, ni à celle d'un face à face entre un ou des travailleurs et un capitaliste. Ce rapport se joue à plusieurs échelles comme par exemple la branche et l'échelon interprofessionnel. Il s'est par ailleurs cristallisé dans des institutions et dans le droit. Mais le salariat est aussi devenu plus simple car dans la première partie du xxe siècle, il est encore possible d'associer le rapport salarial à une classe sociale parmi d'autres, la classe ouvrière, dont les luttes, les représentations syndicales, les institutions et le droit, n'engagent pas nécessairement ou pas directement les autres classes sociales. Les paysans, les employés, les professions intellectuelles par exemple peuvent ainsi encore s'imaginer un futur dans lequel - à l'instar des ouvriers mais à côté d'eux - ils pourront construire un droit spécifique, des protections sociales spécifiques et ce, grâce à des organisations syndicales spécifiques. Près d'un siècle plus tard, le salariat s'est généralisé numériquement et la catégorie de salariat a solidarisé des segments de travailleurs et de travailleusesÂ: au groupe social «ouvrier» sont venus s'ajouter le groupe social «employé» ainsi que les «cadres» dont il faut noter que leur intégration au salariat fut un retournement de l'histoire particulièrement significatif. Qui plus est, ces segments de travailleurs et de travailleuses ont été solidarisés dans un même rapport social qui les oppose à des employeurs de façon plus universelle, plus simple et plus claire que par le passé. Ironie de l'histoire ou diversion, c'est précisément au moment où cette confrontation entre deux classes prend sa forme la plus évidente que la lutte des classes est déclarée obsolète. Il nous semble donc qu'au lieu de prendre toute la mesure de ces profondes transformations sociohistoriques du salariat, l'usage de cette notion par les sciences sociales s'est singulièrement appauvri. Pour Marx et ses contemporains - quelle que soit par ailleurs leur sensibilité -, le salariat est d'abord une notion forgée pour identifier, décrire et expliquer une relation économique, un rapport social très androcentré qui apparaît central dans la société du xixe siècle. Pour le dire dans un vocabulaire anachronique, c'est donc avant tout un concept des sciences sociales qui donne lieu à des controverses, des interrogations. Philosophes, économistes, sociologues s'en saisissent comme d'un outil pour décrire le réel qu'ils ont sous les yeux. Un siècle et demi plus tard, force est de constater que le terme salariat n'est plus questionné. Il est très souvent, pour les sciences sociales, une simple réalité juridico-administrative, une «donnée» ne posant pas question et au mieux une catégorie mais rarement un concept. Chacun ou chacune est ou n'est pas juridiquement «salarié» tandis que, statistiquement, l'Insee comptabilise un nombre de «salariés» et un nombre d'«indépendants» puis mesure l'évolution de leur part respective. Que les sciences sociales prennent en considération le fait d'être ou non juridiquement «salarié», par exemple lorsqu'on étudie la condition des travailleurs et des travailleuses des plateformes, est certes important et utile. Mais, à l'instar de ce que pratiquent paradoxalement de nombreux juristes, c'est à un usage plus réflexif de la notion de salariat - qui ne se réduit pas à une catégorie molle - que nous appelons. Cette approche réductrice du salariat comme «donnée» non interrogée s'explique certainement par un mécanisme assez paradoxalÂ: cette forme juridique, salariale donc, est le fruit d'une histoire qui a vu un concept et des théories s'incarner dans le droit9. En effet, ce concept analytique a infusé le droit jusqu'à structurer une grande part des réalités du travail et de ses «régulations» dans une bonne partie de l'Europe continentale, au Japon, aux États-Unis et ailleurs. Cependant, cette cristallisation dans le droit s'est accompagnée d'une baisse du pouvoir analytique du concept, voire d'une neutralisation scientifique d'un concept qui n'est qu'à de rares exceptions10 interrogé. La cristallisation dans le droit s'est ainsi accompagnée d'une vitrification conceptuelle. Dans quels termes a-t-on arrêté de penser la question salariale? Dans une définition-essentialisationÂ: le salariat c'est la subordination. Et cette définition-essentialisation est sous-tendue par une théorie implicite: celle de l'échange d'une subordination contre une protection. Ce «compromis» - fordien ou autre -, est devenu un cela va de soi ou un implicite théorique, presque un récit mythique des sciences sociales. Les analyses de Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale sont à ce titre souvent mobilisées pour opposer diamétralement deux périodes historiques. Dans la première, le salariat de la révolution industrielle serait profondément asymétrique, l'égalité formelle des parties donnant lieu à une inégalité de fait et au paupérisme. Dans la seconde, un droit du travail et des droits sociaux octroyés par l'État seraient venus compenser cette asymétrie initiale et rééquilibrer l'échange salarial11Â: subordination contre protection, «compromis fordiste», «Trente glorieuses» et «plein-emploi» comme nouvelle étape d'un rapport salarial enfin rééquilibré. L'état de «compromis» peut alors plus ou moins implicitement être conçu comme un climax, un optimum indépassable. Dans un tel cadre d'analyse, on sera tendantiellement conduit à ne penser que des reculs - l'«effritement de la Âsociété salariale» - et ce, dans la nostalgie d'un passé glorieux mais malheureusement révolu. Droits octroyés et équilibre de l'échange retrouvéÂ: dans une telle perspective théorique, on le voit, l'univers des possibles du salariat est relativement bien borné par cet état d'harmonie sociale et d'intégration de la classe ouvrière que l'on prête à la période d'après-guerre. Or, pleine de conflits, de conquêtes, d'émancipations, la réalité sociohistorique sur plus d'un siècle dépasse les termes de l'échange et du compromis. Penser ainsi non pas en termes de compromis mais en termes de luttes et d'émancipation, évite de présumer des définitions et limites du salariat. La réalité du salariat a changé parce que des batailles relatives au travail et/ou à la citoyenneté économique et politique ont été gagnées. Oui, le salariat est consubstantiel au capitalisme mais il est traversé en permanence, par des formes de subversion de la logique capitaliste. Le rapport salarial, en ses contradictions et ses puissances, est le point nodal de la lutte des classes et, en la matière, la messe n'est pas dite tant au point de vue des structures objectives que des structures subjectivesÂ: rien ne permet de conclure que ce rapport social n'est qu'enrôlement au désir-maître capitaliste12. Si le régime de désir est bien celui de désirer selon l'ordre des choses capitalistes (i.Âe. une épithumè capitaliste13), il n'en demeure pas moins que depuis la théorisation produite par Marx, tout un maillage institutionnel de droits salariaux subversifs du capitalisme a pris forme au coeur du rapport salarial (sécurité sociale, cotisations sociales, conventions collectives, minima salariaux, droit du travail, statuts de la fonction publique et des entreprises publiques, etc.). En matière de salariat, on ne peut donc en rester à la théorie implicite du xixe siècle et son acquis d'une protection contre une subordination. Ce n'est pas une simple donnée juridique incontestable (être ou ne pas être «salarié») mais un concept qui doit être discuté, débattu, interrogé, mis en question, caractérisé et caractérisé à nouveau, au fil du temps et des luttes sociales qui s'y rattachent. Si domination, exploitation, aliénation, invisibilisation il y a, il s'agit aussi de comprendre ce qui se joue dans le salariat en termes d'émancipation des femmes et des hommes. Certes, le salariat n'est pas qu'émancipation. Et on peut songer à d'autres possibles pour les travailleurs et les travailleuses que ceux qui s'organisent à l'échelle du salariat. Mais cette dimension émancipatrice ne doit pas faire l'objet d'une occultation. Il nous parait donc nécessaire de saisir le salariat dans son épaisseur sociohistorique, dans les contradictions qui le traversent, les luttes qui le définissent et le redéfinissent, pour éclairer la question du travail aussi bien dans sa dimension abstraite que concrète. On l'aura compris, il s'agit donc ici d'interroger le salariat en lui redonnant toute sa force historique, heuristique et polémique. Le salariat, nous l'avons dit, est devenu un rapport social qui s'exprime à de multiples échelles et qui dépassent de beaucoup le simple face à face évoqué dans la deuxième section du Capital dans laquelle un employeur, «l'homme aux écus», se tient devant un salarié ne pouvant s'attendre «qu'à être tanné»14. Chacune de ces échelles constitue un champ de bataille, avec ses contraintes et ses stratégies d'émancipation spécifiques. À chacune de ces échelles, le rapport social salarial s'exprime dans des collectifs, dans des solidarités et des conflictualités articulées les unes aux autres. À l'échelle de l'entreprise se jouent par exemple de nombreuses luttes pour l'emploi. À celui de la branche, par le biais des conventions collectives, se joue notamment le contrôle de la concurrence sur les salaires entre entreprises d'un même secteur. À l'échelon interprofessionnel et national se jouent l'essentiel du droit du travail et des mécanismes de socialisation du salaire propres à la sécurité sociale ou à l'assurance chômage. Le salariat est donc bien loin de la rémunération marchande de la force de travail du xixe siècle. Les champs de bataille se sont démultipliés tout en s'articulant les uns aux autres. Qu'on pense à l'importance des conventions collectives en termes de salaire et de conditions de travail pour articuler les combats dans l'entreprise et dans la branche. Qu'on pense au rôle d'activation ou au contraire d'éradication des logiques d'armée de réserve que peut jouer un mécanisme d'assurance chômage sur le marché du travail. Qu'on pense également aux mécanismes de sécurité sociale en matière de santé et de retraites en France. Ces derniers se sont constitués en salaire socialisé engageant dans une relation l'ensemble des employeurs et l'ensemble des salarié·es à l'échelle interprofessionnelle là où, dans un pays comme les États-Unis, la protection contre ces «risques» est demeurée liée à la politique salariale d'un employeur à travers des benefits par un salaire indirect mais non socialisé15. Qu'on pense également au salaire à la qualification personnelle qui émancipe largement les fonctionnaires des logiques de marché du travail. Comprendre ce que vit individuellement un salarié ou une salariée hic et nunc, suppose de prendre en considération l'ensemble de ces dimensions collectives articulées, les dynamiques historiques, les luttes, les stratégies et la façon dont l'état des rapports de force sur chacun de ces champs de bataille s'est cristallisé dans des institutions. S'il est un objet qui nous rappelle tous les mois que ce rapport social se joue à plusieurs échelles, c'est bien la fiche de paye. Elle est une symbolisation d'un salaire dit «individuel» ou «direct» en même temps que le lieu d'un «salaire collectif» et ce, à plusieurs égards. En effet, quant à sa détermination, le salaire est particulièrement redevable au collectif. Les forfaits salariaux négociés dans les grilles de classification des conventions collectives de branches et au niveau de l'entreprise ou encore les grades et échelons de la fonction publique sont des éléments structurants du salaire. À cet «individuel» s'ajoute une autre dimension collective dont la fiche de paye fait état, c'est la part directement socialisée du salaire à une échelle nationale et interprofessionnelle via des cotisations ou des impôts. Ces échelles et institutions plurielles ne sont pas réductibles à une fonction de protection légitimée par une subordination mais sont beaucoup plus largement le produit des dimensions collectives et conflictuelles du salaire. Et l'on voit là, pour le dire en passant, ce qu'a d'inepte la lecture marchande et purement calculatoire du salaire, économicisme malheureusement dominant. Derrière la plus ou moins grande socialisation des salaires, c'est la question des modes de valorisation du travail qui se pose: à travers la qualification et la cotisation, le salaire n'a plus grand-chose à voir avec la fiction du prix du travail (cf. infra). Enfin, derrière la maîtrise ou non de cette socialisation, c'est aussi la bataille pour la maîtrise du travail concret qui se joue: c'est-à-dire maîtriser ses finalités, maîtriser la définition de ce qui doit être produit ou pas, maîtriser les moyens et les conditions de la production. Voilà tout ce qu'une lecture en termes de conflictualité et d'émancipation, et non seulement de protection/subordination, s'autorise à penser. Pourquoi une revue? La revue Salariat est la poursuite du projet intellectuel et éditorial que l'Institut Européen du Salariat (IES) porte depuis sa création en 2008. La revue vise donc à accueillir des contributions qui prendront au sérieux les enjeux du salariat de façon ouverte et contradictoire. Il s'agit de promouvoir des analyses du salariat issues des sciences sociales au sens large (sociologie, science politique, histoire, économie, droit...) mais aussi des débats ou des controverses qui ne s'interdisent pas de tirer des conclusions politiques de ces analyses scientifiques16. La revue est ainsi largement ouverte à diverses disciplines et à une pluralité de registres de scientificité. Les travaux empiriques pourront ainsi côtoyer des réflexions théoriques. Des textes fondés sur un registre très descriptif pourront dialoguer avec des approches plus politiques défendant telle ou telle stratégie d'émancipation. Grâce à ce dialogue qu'on espère fécond, nous entendons mettre la production intellectuelle de la recherche au service du débat public et des luttes politiques et sociales qui se déploient dans les domaines du travail concret et de sa valorisation. Notre revue souhaite ainsi faire vivre le débat intellectuel, le dialogue interdisciplinaire et constituer un espace de liberté scientifique en autorisant des approches diverses et non formatées, ce qui suppose en particulier que le débat puisse s'épanouir le plus possible à l'abri - voire même en dehors - des enjeux relatifs au «marché du travail» académique. Si la revue entend publier des articles d'auteurs et d'autrices dont on apprécie les qualités de chercheurs et de chercheuses, elle dénonce avec d'autres17 la fonction d'évaluation et in fine de classement des recherches et des chercheurs et chercheuses que les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche tendent de plus en plus à assigner aux revues. Nous souhaiterions - autant que possible - ne pas constituer un outil de légitimation supplémentaire d'un «marché du travail» académique dans lequel de jeunes chercheurs et chercheuses - de moins en moins jeunes en réalité... - font face à une pénurie extrême de postes et sont soumis à la loi du «publish or perish» ainsi qu'à l'inflation bibliométrique qui, paradoxalement, nuit à la qualité de la production scientifique. Cela signifie en pratique et entre autres, que nous voudrions rester en dehors de cette logique de «classement» des revues et donc ne pas figurer dans les listes officielles des revues dans lesquelles il conviendrait pour les candidats et les candidates à la carrière académique de publier, les critères bibliométriques permettant aux évaluateurs et aux évaluatrices de se passer d'un travail de discussion sur le fond. Cela signifie également que la composition du comité de rédaction de la revue n'est pas dépendante du statut sous lequel les membres exercent leur qualité de chercheur·se: doctorant·e, titulaire ou non titulaire, chercheur·se dans ou hors des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous nous concevons ainsi comme un groupe ouvert à toutes celles et tous ceux qui souhaitent travailler à un projet intellectuel et proposer aux lecteurs et aux lectrices un contenu de qualité, intéressant à la fois d'un point de vue scientifique et d'un point de vue politique. En ce sens, nous proposons plusieurs rubriques pour apporter divers éclairages ou points d'entrée d'un même questionnement puisque nous avons l'objectif de structurer chaque numéro annuel autour d'une problématique commune. La rubrique Arrêt sur image invite à décrypter les enjeux derrière une image choisie, la rubrique Lectures et débats ouvre à la discussion avec des publications académiques ou littéraires et la rubrique Brut est un espace de mise en valeur de données empiriques diverses. Ces manières d'aborder la problématique générale du numéro sont complétées par des articles dans une rubrique plus généraliste, Notes et analyses. Mais ces rubriques, plus largement présentées sur le site web de la revue18, ne doivent pas constituer des carcans et elles sont elles-mêmes susceptibles d'évoluer. Droit à l'emploi ou droit au salaire? Ce premier numéro est ainsi l'occasion de tester l'intérêt ou la validité de notre parti-pris analytique consistant à penser le salariat comme un concept de sciences sociales à vocation heuristique en dévoilant ses contradictions et ce faisant, des chemins possibles d'émancipation. La question générale que nous posons dans ce numéro est la suivante: qu'est-il préférable de garantir, un droit à l'emploi ou un droit au salaire? Pour celles et ceux qui restent indifférent·es à une réflexion de fond sur les institutions salariales, cette question n'a pas lieu d'être car «qui dit emploi dit salaire et qui dit salaire dit emploi, garantir l'un, revient donc à garantir l'autre». Une telle remarque passerait pourtant à côté d'un enjeu essentiel car il y a là - en première analyse et pour la période qui nous occupe, à savoir fin du xxe siècle et début du xxie siècle - deux voies d'émancipation salariale structurées autour de deux grandes familles de stratégies possiblesÂ: celles qui concourent à promouvoir l'emploi et notamment le plein-emploi et celles qui s'en départissent et promeuvent un droit au salaire ou font du droit au salaire un préalable. Ce débat, s'il est contemporain, n'est pas totalement nouveau et deux grandes organisations syndicales, la CGT et la CFDT s'en sont emparé avec leurs projets respectifs de sécurité sociale professionnelle ou de sécurisation des parcours professionnels. Il s'agit bien de projets différents dans lesquels l'emploi et le salaire ne recouvrent pas une même réalité. «Emploi», voire même «plein-emploi» peuvent prendre des sens différents et leur éventuelle garantie ne dit rien de la nécessité du salaire ou de ressources au-delà de l'emploi précisément. La question posée dans le présent numéro est donc loin d'être anodine et c'est pourquoi nous y réfléchissons depuis une dizaine d'années19 et la remettons aujourd'hui sur le métier. Et de ce point de vue, l'expérience du confinement a été particulièrement révélatrice de ce que les différentes formes d'institutions du travail produisent en termes de droits salariaux, comme le met en lumière Jean-Pascal Higelé dans une note - révisée - de l'IES que nous publions ici.
La nature de l'islam, la place des musulmans, deux thèmes qui taraudent - et souvent enflamment - les débats de la société française depuis plusieurs décennies. L'ambition de cet essai est de tenter de mettre en lumière l'ancienneté des regards français - car c'est évidemment au pluriel qu'il faut s'exprimer - sur cette religion et sur cette communauté. Quatorze auteur-e-s, spécialistes de périodes et d'aires géographiques différentes, ont cherché à historiciser cette question. Et l'on découvrira, ou l'on aura confirmation, dans ces pages, que bien des jugements et attitudes d'aujourd'hui ont des racines multiséculaires, parfois venues du grand choc que furent les Croisades. Au fil des siècles, intérêt, adhésion et hostilité se croiseront. L'étude couvre la totalité de la période coloniale et s'achève donc à la guerre d'Algérie. Au lecteur du début du XXIe siècle de tirer des enseignements sur l'état actuel du débat sur ces questions.
Cet ouvrage consacré au Maghreb et au partenariat avec les pays de l'arc latin de la Méditerranée est publié au plus fort d'une actualité marquée, d'une part, par l'existence d'une crise aiguë du couple algéro-marocain qui était envisagé comme le moteur d'une construction maghrébine, et d'autre part, d'une marginalisation de la Méditerranée occidentale dans la géopolitique mondiale que traduit ce conflit majeur opposant l'Europe et les Etats-Unis à la Russie. Ce paradoxe qui incite au désenchantement, n'est-il pas aussi le moment privilégié pour repenser et agir afin de réaliser un regroupement régional et promouvoir des formes de partenariat et de coopération entre les pays méditerranéens. Autrement dit, la crise géopolitique ne donnerait-elle pas l'opportunité aux pays du Maghreb de repenser leurs alliances, de mieux défendre leurs intérêts communs, et contribuer ainsi à mettre en oeuvre un nouvel ordre politique et économique plus propice au progrès et au développement de leurs peuples. Il s'agira pour eux de se hisser à la hauteur des nouveaux enjeux provoqués par les recompositions géopolitiques en cours et de dépasser des situations jugées aujourd'hui indépassables. Ce livre posthume de Noureddine ABDI qui est l'aboutissement de longues années de travail offre des matériaux précieux dans l'édification de ce projet maghrébin «sans cesse recommencé» et/ou contrarié, car soumis aux aléas politique, à des conjonctures économiques internes et à des alliances économiques ou politiques contraires à la vocation unitaire du Maghreb. Avant d'entrer dans le coeur d'un sujet -le Maghreb et subsidiairement ses rapports avec la Méditerranée occidentale- qui fut dès les années 1980 au centre de sa réflexion et de ses recherches, un mot pour évoquer une dette personnelle qui nous avons contractée auprès de N. Abdi. Engageant au milieu des années 1970, une carrière de chercheur en économie agricole et rurale, parmi mes premières lectures figuraient en bonne place les articles que N. Abdi avait publié dans des revues (la Revue Algérienne ou d'autres revue étrangères). Il fut pour moi, l'un des premiers chercheur algérien (aux côtés de nos aînés que furent Tami Tidafi, Hamid Aït-Amara ou Claudine Chaulet) qui ont contribué à nourrir nos connaissances, et à nous initier aux questions agraires et paysannes. Celles-ci avaient occupé son activité intellectuelle tout au long de la période qui va du milieu des années 1950 à la fin des années 1970. L'autobiographie qui figure à la fin de l'ouvrage apporte des éclairages intéressants et nouveaux sur les contextes politiques et économiques de cette époque. Elle nous livre un témoignage inédit sur les conditions concrètes d'émergence de l'autogestion agricole en Algérie, les obstacles rencontrés et les luttes d'influence exercées au sein de l'appareil d'État, les motifs de son engagement auprès des ouvriers de l'autogestion ou les attributaires d'une réforme agraire qu'il avait appelé de tous ses voeux. Si le récit autobiographique, rédigé avec une modestie qui impressionnait les personnes qui l'ont côtoyé, évoque assez clairement l'engagement politique et syndical de l'auteur dans la lutte de libération nationale, elle témoigne aussi de son attachement émouvant à sa terre - et de ses lieux- d'origine, décrit les premiers pas de l'État algérien dès l'indépendance en mettant l'accent sur difficultés dans la construction de ses institutions nationales. Au cours de la période qui va suivre, celle qui commence dans les années 1980, N. Abdi va élargir la perspective en traitant essentiellement de la construction maghrébine, et focalise sa penséesur «les perspectives d'un avenir régional commun». Appartenant dorénavant aux deux rives de la Méditerranée (un entre-deux dont il faisait l'expérience), il fonde son engagement personnel à penser également le rapprochement des pays du Maghreb avec les pays méditerranéens de l'arc latin. Les processus de renforcement des unions régionales face à une mondialisation en marche, l'essor d'une coopération adaptée à leur échelle font aussi l'objet de ses préoccupations intellectuelles. Ces formes de coopération et de regroupement régional sont pensées comme «le meilleur moyen de peser dans les relations internationales». Ces nouvelles recherches que l'auteur engage baliseront un parcours personnel et professionnel au sein d'institutions tels l'Institut d'Études du Développement Économique et Social (IEDES), le CNRS français, la Maison des Sciences de l'Homme ou de laboratoires de recherche de l'Université Paris VII. Abdi se dépensera avec énergie pour animer des forums, des débats ou des rencontres scientifiques réunissant des dizaines de chercheurs appartenant aux deux rives. Tous les travaux et toutes les contributions que N. Abdi signale dans cet ouvrage, sont les produits intellectuels de ces multiples activités ; elles ont fait l'objet de publications thématiques dans des revues, des compte-rendu de séminaires ou des ouvrages collectifs. Les sources d'inspiration les plus marquantes de ce parcours professionnel sont évoquées. Il y a en premier lieu l'auteur maghrébin par excellence que fut Ibn Khaldoun dont il est fait souvent référence dans ses travaux, mais aussi d'autres auteursÂ; le marocain A. Khatibi, et le tunisien A. Meddeb- passeurs et penseurs comme lui de l'altérité- qui partageaient avec lui, une confiance dans la construction de ce «lieu de symbiose» qu'est selon lui le Maghreb. Il n'a cessé d'entretenir un dialogue ininterrompu, et jusqu'à leur disparition prématurée, avec ces deux auteurs qui cultivaient, selon son expression, une «maghrébinité commune». Cet «entre-deux», position qu'il assumait pleinement, et les liens socioculturels qui le rattachait aux deux rives de la Méditerranée, l'ont naturellement conduit à plaider pour un rapprochementÂ; celui-ci qui se nourrissait d'échanges intellectuels avec d'autres auteurs (J. Berque ou P. Vieille) à la sensibilité méditerranéenne tout aussi affirmée que la sienne. Ce n'est, écrit-il «qu'en restituant parmi les autres dimensions du Maghreb, celle qu'il partage avec l'Europe latine, qu'on parviendra à saisir les réalités maghrébines telles qu'elles sont perçues par les Maghrébins eux-mêmes et plus particulièrement la société civile, de façon à que ce Maghreb réel puisse constituer notre véritable horizon de pensée». Cette vision généreuse d'ouverture vers la méditerranée occidentale l'empêchera d'examiner les distances prises avec la rive sud, l'Europe méridionale préférant de fait coopérer avec les nouveaux pays (ex PECO) admis dans l'Union européenne. Elle est également silencieuse sur les approches nationales que chacun des pays du Maghreb engage avec les pays de l'Union européenne Aucune coordination n'est réalisée dans la mise en oeuvre des rapports politiques et économiques et politiques. À titre d'exemple, les accords d'association sont signés séparément et leurs évaluations -qui font ressortir des tendances à l'accentuation des asymétries économiques défavorables aux 3 pays du Maghreb- n'ont pas permis les rapprochements concertations pourtant nécessaires. L'engagement politique de l'auteur pour «féconder un Maghreb des citoyens» est un engagement actif résolument orienté vers des processus de création et de production de richesses «au plan intérieur», et impulsé «au plan extérieur» par «un esprit d'ouverture et de partenariat». Il s'agit, nous dit-il, «de dégager les perspectives d'un avenir régional commun pour qu'il soit davantage maîtrisé que subi, c'est-à-dire qu'il prenne la forme d'un essor autonome plutôt que celle d'un moindre développement et d'une dépendance accrue». Empruntant à l'auteur des «Andalousies», la formule de J. Berque, N. Abdi appelle lui également à des «Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous les décombres amoncelés et l'inlassable espérance». L'approche généreuse et profondément universaliste que N. Abdi adopte, reprend une idée empreinte d'humanisme, de cet autre penseur de la Méditerranée, Paul Valéry, qui concevait la Méditerranée comme un «dispositif à faire de la civilisation». La méditerranéïté, écrit-il, est ainsi intimement liée au processus de construction maghrébine, elle en est l'un des principes fondateurs, tout comme à l'inverse, «la maghrébinité en est tributaire». Ces affirmations s'appuient sur une réflexion critique qui intègre l'analyse de la longue durée, et où N. Abdi expose avec lucidité le cheminement du projet politique de construction d'un Maghreb «lequel est en permanence fait et défait par les pouvoirs en place», ce qui témoigne d'un clivage -qu'il subissait lui-même sur le plan politiquenous dit-il-, et «qui se creusait entre le Maroc et l'Algérie proches l'un de l'autre». Sa réflexion sur la vocation unitaire dans le Maghreb s'appuie sur l'examen minutieux desÂcritères à la fois socio-historiques et politiques, et en particulier la dimension ethno-culturelle de la région. Le Maghreb écrit-il «constitue un sujet historique», en particulier dans les phases conflictuelles et de résistances. Il rappelle que l'Étoile Nord-Africaine qui fut créée à Paris en 1927, et qui traduira les premiers pas du nationalisme algérien, «vise à construire l'unité du Maghreb», «à ressusciter une unité ancienne que l'histoire a enregistrée et dont elle a témoigné». Il s'attache avec obstination à retracer le cheminement de l'idée maghrébine dans un passé plus proche de nous, en examinant les faits qui participent au développement de ce «sujet historique» dans les phases conflictuellesÂ; ceux des années 1930 (de la création de l'Étoile Nord-Africaine à l'Association des Étudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA), ceux de la deuxième guerre mondiale, avec le mouvement syndical animé par le tunisien F. Hachad). Il traque enfin cette solidarité maghrébine partagée par les mouvements de libération nationale dans les années 1950. Il remarque bien que la proclamation de la construction du Maghreb à Tanger, en août 1959, et sa relance le 17 février 1989, n'empêche pas cet ensemble d'être toujours aussi divisé, notamment par une frontière algéro-marocaine fermée. Ce constat établi, l'incite naturellement à analyser, au-delà de la question du Sahara occidental, les raisons socio-politiques et économiques qui font ce Maghreb «écartelé». Ces discordes sont à rechercher, nous dit-il, dans la nature de régimes peu disposés à «concéder la moindre parcellede leurÂpouvoir dansÂlecadre d'une unification du Maghreb», mais aussi dans l'état de sociétés politiques ou de sociétés civiles peu mobilisées par l'idée maghrébine. Ces questionnements de l'auteur ne le détournent pas de l'exercice de recension des éléments qui peuvent constituer les moyens de dépassement de ces situations de fait. Cette dernière posture illustre assez parfaitement l'optimisme raisonné de N. Abdi dans l'affirmation d'une maghrébinité possible et souhaitable pour l'avenir des peuples de la région. Elle le conduit à analyse avec rigueur les facteurs favorables à une intégration maghrébine, ou de ce que les prospectivistes appelleraient «les signaux faibles» favorables à une construction maghrébine. Les facteurs religieux et culturels d'abord, où N. Abdi qui, tout en attirant l'attention sur le recours vain à une «retraditionnalisation» du fonds culturel et religieux de la région, invite, à mobiliser et/ou revivifier un fonds religieux et culturel maghrébin «avec ses institutions et ses références ancestrales propres». Il y a ensuite des facteurs sociaux avec «les passerelles» que représentent les diasporas du Maghreb. C'est, nous dit-il, au sein de l'immigration que l'on rencontre «cette maghrébinité radicale». Cette dernière ressource, facteur puissant d'intégration, est représentée par les populations originaires du Maghreb. Ces dernières font la découverte dans les sociétés d'accueil «de leur sentiment d'une appartenance commune», de cette «identité partagée» et qui prennent «conscience de ce qui les unit». Après tout, s'interroge-t-il, «si nous considérons le fait que l'affirmation de l'indépendance du Maghreb a commencé à l'extérieur pendant l'entre-deux-guerres, pourquoi n'en serait-il pas de même du mouvement de reconstruction du Maghreb»Â? Et Abdi d'explorer enfin les conditions économiques propices à l'intégration. L'existence d'un large marché fort de millions de consommateurs «qui aurait pour effet d'augmenter de 2 points le taux de croissance de la région», le développement des infrastructures de transport (autoroute Trans maghrébine dont l'essentiel des tronçons sont déjà réalisés à l'intérieur de chacun des pays), l'énergie (électricité et gaz), de même que l'irruption dans l'espace économique, souvent appuyée par le développement des technologies de l'information et de la communication (TIC), de «nouveaux acteurs de l'intégration socio-économique du Maghreb», que sont les entrepreneurs et chefs de PME. Les facteurs d'intégration sont à cultiver au sein des communautés universitaires où «l'intelligentsia maghrébine devrait, où qu'elle se trouve, jouer un rôle moteur dans le cadre d'échanges et de collaborations»Â; dans les milieux d'affaires ensuite où la promotion d'une intégration peut être entreprise par des agents qui se situent au sommet de l'économie maghrébine. Le futur du Maghreb ne peut être toutefois pensé sans ce couple algéro-marocain qui est appelé à jouer un rôle décisif dans une construction maghrébine fondée sur «une réelle émancipation et un vrai progrès pour toutes ses populations». «Ce qui importe le plus, nous dit-il, c'est avant tout de cultiver et de développer la maghrébinité au travers de relations maghrébines les plus favorables à l'épanouissement de l'homme». Reprenant l'une desÂpremières propositions de KHATIBI formulé sur les relations de voisinage, il nous invite «à se regarder en face»,Âà «construire un espace vie qui soit commun», et à «aller vers le risque partagé avec l'autre, les autres». Une pensée généreusement humaine, anti bureaucratique par nature, s'appuyant sur une mobilisation citoyenne constitue le fil conducteur de ses analyses du Maghreb. C'est la même pensée que l'on retrouve dans ses travaux de jeunesse portant sur la construction du Maghreb conduites par le syndicaliste tunisien F. Hached, où dans le rôle joué par l'UGTA et la Fédération des travailleurs de la terre dans l'autogestion agricole algérienne. Les «constructions bureaucratiques» et les «approches technocratiques» seront en permanence vigoureusement dénoncées par N. Abdi. Ces approches dessaisissent, affirme-t-il, les acteurs sociaux, les producteurs ou les créateurs de richesses de leurs pouvoirs et freinent, nous dit-il le mouvement d'émancipation sociale, soit de la paysannerie du temps de l'autogestion agricole, soit les sociétés civiles et politiques dans la construction du Maghreb. Nous le répétons, la vision du Maghreb que propose N. Abdi est inséparable de son itinéraire de vie et de la fidélité à ses engagements politiques et syndicaux qu'il évoque. L'exil qu'il a choisi dès 1973, va le conforter dans un statut de chercheur qu'il n'aura jamais abandonnéÂ; ce statut l'autorisait à exercer ses activités avec une liberté d'esprit à laquelle il était profondément attaché. S'il a inauguré un champs d'étude dans les années 1960-70 passionnant pour ma génération (celui des questions agraire et paysannes), il nous offre avec cet ouvrage posthume, un chantier de travail que l'on découvre avec un réel plaisir intellectuel et où l'érudition de l'auteur laisse aussi place à l'émotion suscitée par cette quête absolu d'un idéal de progrès et d'émancipation pour les peuples du Maghreb, cette quête de méditerranéïté faite de paix et de coopération à laquelle il rêvait. La lecture de ce livre nous laisse toutefois un grand regret. Celui de n'avoir pas croisé l'homme, celui de n'avoir pas échangé sur son expérience dans un domaine qui nous est cher à tous les deux, celui de la paysannerie qui fut son premier domaine de recherche; mais au-delà, de cet intérêt tout personnel, la frustration de n'avoir pas eu l'occasion de dialoguer sur cette passion qu'il entretenait et cette cause qu'il défendait avec déterminationÂÂ: celle du « Maghreb des peuples et des citoyens», dont il portait l'idée avec une conviction admirable. Omar Bessaoud, économiste agricole, professeur associé au CIHEAM-Montpellier. Montpellier, le 2 juin 2022.
Le cinéma amazigh est intéressant en tant qu'il est une continuité de la lutte pour la reconnaissance de l'identité amazighe en même temps que le dernier rempart conquis par la création artistique, vu que le rejet de l'utilisation de la langue amazighe au cinéma a duré plus longtemps que pour les autres arts. Cette dynamique est d'autant plus intéressante que, dès la sortie des films, la presse titrait que le cinéma amazigh était né, instituant le fait, discutable, de l'apparition d'un genre supplémentaire dans la cinématographie nationale. Ce cinéma cristallise une double rupture : le renouvellement des thèmes ; l'autorisation d'instaurer un secteur privé, indépendant. Cette ouverture, menée par des réalisateurs professionnels, est un premier signe de changement. La suite de l'histoire du cinéma algérien, dans une rupture totale avec le cinéma professionnel des réalisateurs salariés des entreprises étatiques, va bousculer tout ce qui a pu être produit ou observé.
Plongé dans les coulisses des conspirations républicaines du début du XIXème siècle, ce livre intéressera les lecteurs attirés par les premières manifestations du socialisme en Europe. Il invite à renouer avec une époque dominée par les sociétés secrètes et le rêve d'égalité hérité de la Révolution française. Un récit qui fait revivre à hauteur d'épaules les amitiés et les trahisons, les combats et les déboires de générations hostiles au retour de la Monarchie d'ancien régime.