Des vertus, on ne parle plus guère. Cela ne signifie pas que nous n'en ayons plus besoin, ni ne nous autorise à y renoncer. Mieux vaut enseigner les vertus, disait Spinoza, que condamner les vices : mieux vaut la joie que la tristesse, mieux vaut l'admiration que le mépris, mieux vaut l'exemple que la honte. De la politesse à l'amour, dix-huit chapitres sur les vertus, celles qui nous manquent parfois, celles qui nous éclairent. Il ne s'agit pas de donner des leçons de morale, mais d'aider chacun à devenir son propre maître et son unique juge. Il n'y a pas de bien en soi : le bien n'existe pas, il est à faire et c'est ce qu'on appelle les vertus.
« Philosopher, c'est penser sa vie et vivre sa pensée. Entre les deux un décalage subsiste pourtant, qui nous constitue et nous déchire... A quoi bon tant penser si c'est pour vivre si peu ?... On voudrait ici essayer autre chose... une philosophie à découvert, au plus près de la vie réelle, de ses échecs, de sa fragilité, de sa perpétuelle et fugitive improvisation... C'est ce que le mot d'impromptus, emprunté à Schubert, a paru pouvoir désigner à peu près. »
Nous n'aimons pas les obstacles. Nous les voyons comme des empêchements. Ils nous feraient perdre du temps, mettraient en danger notre vie. Pourtant, les obstacles ne sont pas que des défauts à éliminer : ils sont aussi une des composantes essentielles de nos mouvements et de notre existence. Dès qu'il est question de rester ou de passer quelque part, de trajet ou de migration, de frontière ou de mur, mais aussi de corps-à-corps, de contact entre les chairs, d'épreuve, il y a toujours quelque chose, ou quelqu'un, ou une foule, qui fait obstacle et qu'on ne peut effacer. Pour Jérôme Lèbre, cette omniprésence oblige à poser une question d'une importance capitale : et si le monde était avant tout la somme de ces obstacles ? Et si, par conséquent, plutôt que de les ignorer, il s'agissait avant tout d'apprendre, en les contournant et les surmontant, à en devenir un soi-même - à devenir une résistance aux mouvements d'appropriation ou de destruction ? Et si, en somme, il n'y avait rien de plus politique qu'un obstacle ? Car penser l'obstacle, c'est aussi penser une manière nouvelle de repartir - malgré tout.
Qu'est-ce que la civilisation ? Qu'est-ce que cette construction étrangère mêlant politique, économie, morale et même écologie, à laquelle nous continuons à nous rattacher comme à une bouée de sauvetage ? Qu'est-ce que la civilisation lorsqu'il devient de plus en plus évident que les « civilisés » le sont bien peu - et qu'en leur nom se perpètrent les pires violences, les pires injustices, jusqu'à la destruction même de la planète ? S'inscrivant dans les pas des figures fondatrices de l'anthropologie anarchiste telles que David Graeber ou James C. Scott, Edouard Jourdain propose un vaste périple au coeur des ambiguïtés de cette si étrange civilisation - et de son double nécessaire : la sauvagerie. Car, bien loin de ne concerner que des simples détails esthétiques ou des divergences de moeurs, le pas de côté du côté du « sauvage » devient une manière de remettre en cause jusqu'aux évidences en apparence les mieux assises de notre « civilisation » : propriété, État, individu, droit, démocratie. Face à l'effondrement de la civilisation issue de la modernité, c'est du côté du sauvage que les civilisés trouveront peut-être de quoi penser enfin leur condition - et ses possibles échappatoires.
Vous est-il arrivé de douter de la réalité du monde autour de vous ? Avez-vous déjà été hanté par certains indices troublants, par une sensation d'hallucination généralisée, par une impression tenace de mystification ? N'avez-vous jamais pensé que votre vie entière n'était qu'illusion, contrefaçon et même imposture ? Peut-être aviez-vous raison : il faudrait alors vous résoudre à vivre dans un monde factice. De Gabriel Tarde à Maurice Renard, de H. G. Wells à Philip K. Dick, David Cronenberg ou Ted Chiang, une riche lignée d'écrivains et de cinéastes a été obsédée par ce sentiment diffus d'irréalité. Ils ont, dans leurs récits, imaginé puis fait l'expérience d'une multitude de mondes faux, dans lesquels on croise, avec jubilation et inquiétude, des humains réduits à l'état de cobayes par des extraterrestres, des scientifiques fabriquant des simulacres d'univers ou des dieux défaillants infiltrant la psyché malade de leurs fidèles. En inventant ces mondes factices, souvent effrayants, toujours fantasques, écrivains et cinéastes sont devenus philosophes, et plus précisément métaphysiciens. Ils nous ont révélé un abîme sous nos rassurantes certitudes : une manière étrange et nouvelle de voir, de sentir et de penser le monde.
Le "Tao te king" est attribué à Lao Tseu. Celui-ci aurait rencontré Confucius (550 à 479 av J. C.) contemporain d'Héraclite. Sage déjà vénéré au temps de Confucius, plus âgé que ce dernier, Lao Tseu serait contemporain de Pythagore. Le Tao-Te king, " Livre (king) de la Voie (Tao) et de la Vertu (Te) ", l'ouvrage fondateur du taoïsme philosophique, est attribué à Lao-tseu. Selon la légende, Lao-Tseu aurait rencontré Confucius et lui aurait tenu des propos obscurs, ce qui aurait fait dire à ce dernier que Lao-Tseu était " insaisissable comme un dragon ". Entre légende ou réalité, nul ne peut trancher. Mais reste un livre sacré, lui aussi sibyllin, que Marcel Conche, grand philosophe contemporain, a traduit et commenté pour nous, afin d'éclaircir la Voie taoïste de la sagesse en rapprochant la philosophie orientale, qui nous est souvent étrangère, de la philosophie des Antésocratiques, dont Lao-Tseu aurait été le contemporain. En guise d'introduction au texte intégral, Marcel Conche distingue et développe les principaux points de la philosophie taoïste, afin de baliser la lecture de ce texte ardu et essentiel de points de lumière indispensables à la compréhension du texte. Puis, au gré de réflexions, il s'ancre sur certaines notions qu'il développe, comme le rapport de la violence et de la civilisation, et compare aux autres points de vue philosophiques.M. Conche commente le sens du livre, la sagesse, comment l'acquérir selon Lao Tseu. Les éclaircissements apportés permettent enfin de comprendre et d'assimiler les principes de la philosophie taoïste, et font du Tao-Te king un livre accessible digne de figurer parmi les classiques de la philosophie antique. Le Tao-Te king enrichit la pensée occidentale de points de vue différents, d'un autre âge et d'une autre aire culturelle, qui peuvent nous aider à penser les problèmes de notre temps et de notre culture.
Le petit Grégory, Alfred Jarry, Jack l'Éventreur, Ronald Reagan, David Bowie, Saddam Hussein, Edgar Allan Poe, Christine Chubbuck, Nicolas Sarkozy, Vincent Van Gogh, Mouammar Kadhafi, Martin Shkreli, Philip K. Dick, Nelson Mandela, Léona Delcourt, Otis Redding ou André Breton, qu'ont-ils en commun ces individus hantant le XXe siècle comme s'il était un théâtre grinçant ? Sans eux, l'histoire de ce siècle - notre histoire - serait incompréhensible. Car il y a les récits de manuels, avec ses grands hommes et ses grands événements. Et puis il y a le reste - les légendes dont est tissée la réalité, et qu'on ne peut raconter qu'au coin du feu ou dans l'ombre d'une porte, de peur de passer pour fou. Pacôme Thiellement n'a pas peur de la folie. Et lorsqu'il choisit de raconter « son » xxe siècle, c'est à travers le plus étonnant des réseaux de correspondance, où la poésie fait écho au fait divers, les stars médiatiques à d'obscures préoccupations mystiques et les nobles déclarations politiques aux tentatives incessantes de rendre la vie des humains impossible. Qu'y a-t-il donc de commun entre toutes ces figures ? Elles firent de la question « Qu'est-ce que vivre ? » celle du siècle dernier.
Nous sommes les héritiers de la plus sinistre des histoires : celle qui a fait de l'amour un piège. De Adam et Ève aux séries contemporaines, elle n'a pas cessé d'être rejouée, définissant l'horizon de vie des femmes et des hommes errant sur la terre sous l'oeil mauvais du Démiurge. Il s'agit d'une histoire dans laquelle l'amour n'est pas ce qui sauve, mais ce qui enferme ; il n'est pas ce qui rend bon et joyeux, mais triste et méchant, égoïste et cruel. L'amour est un sickamour - un amour malade. Comment faire pour en échapper ? Comment faire pour retrouver ce qui a été perdu lorsque, jaloux du bonheur d'Adam et Ève, Dieu décida de les flanquer à la porte du Paradis ? Telle est la question que s'est posée Pacôme Thiellement dans Sycomore Sickamour, une promenade hallucinée et somptueuse dans les méandres d'un savoir amoureux perdu, mêlant le théâtre de William Shakespeare et les textes gnostiques, les images de Jacques Rivette et celles de David Lynch, mais aussi Buffy et Clair de lune, Raymond Roussel et John Lennon, Gérard de Nerval et Martha & The Vandellas. Une promenade à la recherche du twist de l'amour heureux.
Qui sommes-nous ? À cette demande, chacun nous intime désormais de répondre. Du développement personnel aux documents d'identité, des luttes politiques aux relations intimes, de la vie professionnelle aux moments d'illumination mystique, réussir à enfin être soi-même semble constituer la condition essentielle de tout. Mais d'où provient cette obsession pour le fait d'être quelqu'un ? Et, surtout, que révèle-t-elle de l'ordre du monde dans lequel nous vivons ? Dans son nouveau livre, Laurent de Sutter, propose une solution inédite à ces questions au terme d'une dérive surprenante, saisissant dans un même mouvement la méthode Coué et le très ancien droit romain, l'invention philosophique du moi et la pensée chinoise, la psychanalyse et la spiritualité indienne, le théâtre et la neurologie. Et si être soi-même n'était rien d'autre que le nom de la police ? Et si, pour résister aux appels à être « quelqu'un », il fallait enfin apprendre à devenir n'importe qui ?
Dans la nuit du 9 au 10 août 1932, dans un bourg de Silésie, cinq membres de la SA assassinent brutalement un militant communiste. Les meurtriers sont condamnés à mort, mais leur peine est rapidement commuée par le gouvernement : Berlin a cédé à la pression du parti nazi, débordé par une base à laquelle les chefs se rallient. Cette commutation marque la fin de la République de Weimar : à l'état de droit va bientôt se substituer une légalité nouvelle, un droit de guerre et d'exception, dont les nazis se réclament pour maquiller leurs crimes en « exécutions » et présenter leurs meurtriers comme des « combattants ». À l'intérieur du parti nazi, cette affaire a révélé une dissension entre la base SA, tentée par la violence et le coup de force, et la hiérarchie, plus légaliste : ce contentieux sera tranché plus tard, lors de la nuit des longs couteaux. À partir d'un fait divers, ce livre invite à une histoire culturelle et politique de la République de Weimar et du parti national-socialiste.
À l'heure de l'Anthropocène, quel pourrait être le rôle de l'art ? Dans une culture qui a accéléré jusqu'au délire le passage de la marchandise à l'ordure, de la valeur au déchet, il n'est désormais rien qui ne puisse prétendre s'extraire de la logique de crise affectant la totalité des habitants de la planète Terre. À la crise climatique et à la crise économique répond en effet une crise de la culture, mêlant gaspillages, exclusions, pollutions, appropriations brutales - faisant de l'art le collaborateur de la destruction planétaire. Comment réagir à cet état des choses ? Dans ce nouvel essai, urgent et passionné, Nicolas Bourriaud se fait l'avocat d'une conception nouvelle de l'art, qui prenne la mesure d'une écologie et d'une économie instituant la décroissance, la décolonisation et l'inclusion en maîtres-mots. Convoquant les plus grands créateurs de notre temps ainsi que les derniers apports de l'anthropologie, de la philosophie ou de l'esthétique, Inclusions est un vibrant plaidoyer pour une forme enfin soutenable de vie, dont l'art pourrait constituer le modèle.
Né d'une rencontre avec une classe de lycéens belges, ce livre incarne l'accomplissement d'un défi : celui qui consiste, pour un philosophe célèbre pour l'ambition et la richesse de son travail, à en proposer une introduction qui n'en perde pourtant jamais la pointe. C'est ce défi qu'a relevé Alain Badiou dans ce petit livre, mêlant entretiens et textes inédits, qui parcourt avec autant d'allégresse que de pédagogie plus de soixante années de publications, et traverse la totalité des domaines dans lesquels sa pensée s'est illustrée : ontologie fondamentale, mathématiques, politique, poésie ou amour - non sans multiplier les digressions en direction des grandes figures de l'histoire de la philosophie. À l'heure où l'oeuvre d'Alain Badiou est enseignée et commentée dans les universités et les grandes écoles du monde entier, il était temps qu'on dispose d'une boussole fiable afin de s'orienter dans son fantastique foisonnement. On la tient entre les mains.
Le 18 novembre 2020, en pleine pandémie de Covid-19, un étrange pilier métallique fait son apparition soudaine dans la vallée de San Juan County dans l'Utah. Il suscite immédiatement une fascination mondiale qui atteint bientôt son climax hystérique lorsque d'autres structures identiques sont découvertes aux quatre coins du globe. D'où venaient-elles ? Qu'étaient-elles ? Que signifiaient-elles ? Renvoyant à l'imagerie antique des monolithes, dont Stanley Kubrick avait fait l'icône de son film 2001, L'Odyssée de l'espace, ce phénomène a réactivé une fascination ancienne, mêlant angoisse et excitation. Bien loin de se réduire à de simples traces d'un passé révolu, les monolithes traduisent la victoire de forces mystérieuses sur le cours du temps, dont le message persiste malgré l'oubli et la destruction des civilisations. Traversant les époques et les continents, passant du mythe de Cthulhu à la théosophie, du cosmisme russe aux druides des romantiques ou encore aux théories complotistes sur les « Anciens Astronautes », Antonio Dominguez Leiva, le maître de la pop culture, raconte ici l'histoire de cette fascination pour le pouvoir occulte de puissances immémorielles.
Il n'y a pas de crise climatique. Il y a une volonté politique pour que le climat soit en crise. Telle est la thèse provocante défendue par Mark Alizart dans ce petit ouvrage brillant et intempestif. Quand des États laissent non seulement brûler leurs forêts, mais qu'ils les mettent eux-mêmes à feu ; quand ils ne se contentent pas de ne pas appliquer les accords de Paris, mais qu'ils les déchirent en public ; quand ils ne se satisfont pas de douter des scientifiques mais qu'ils les intimident, - on ne peut plus simplement dire qu'ils n'en font pas assez pour sauver la planète : manifestement, ils font tout pour qu'elle soit détruite. Car le changement climatique va créer d'innombrables perdants, mais aussi quelques gagnants - quelques individus pariant sur l'effondrement du monde comme on parie, en Bourse, sur des valeurs à la baisse. S'il s'agit de se battre contre la crise climatique, il ne suffit donc pas de le faire en changeant seulement nos comportements individuels. Il faut déjouer le complot « carbofasciste » ourdi contre l'humanité. Comment ? En commençant par penser les conditions d'une révolution dans la pensée politique de l'écologie - une révolution en faveur d'un véritable « écosocialisme ».
Ce texte, André Comte-Sponville l'a conçu quand il avait 26 ans et ne l'avait depuis jamais donné à publier. Il trouve donc seulement aujourd'hui la forme d'un livre, précédé d'une ample préface où l'auteur en restitue la génèse. L'oeuvre est une méditation de jeunesse. Elle se présente à bien des égards comme un exercice d'admiration (Montaigne et Pascal, Épicure et Lucrèce, Spinoza et Descartes, Marx et Freud...) mais relève aussi d'une déprise radicale d'avec la modernité littéraire et intellectuelle (Foucault, Deleuze, Barthes, Derrida...). Une douzaine de sections aborde quelques grands thèmes philosophiques, l'art, la liberté, la vérité, la religion..., dans un style libre et concis, proche de l'aphorisme qui fascinait déjà le jeune écrivain. Vingt-huit ans plus tard, l'auteur a à peine révisé son manuscrit. Il lui reconnaît un caractère certes juvénile et imparfait mais en endosse la paternité avec le regard mûr de l'homme accompli. "Il faut savoir penser contre son temps" : telle était déjà la ligne de conduite que s'était fixé l'écrivain au sortir de Normale Sup. En faisant paraître ce texte aujourd'hui, il n'y déroge pas.
Qu'est-ce qu'une nymphe ? Figure imaginaire venue de la mythologie grecque, jeune fille incarnant les pouvoirs mystérieux d'une nature toujours plus vivante que ceux qui la peuplent, elles ne cessent de signer de leur présence troublante l'histoire de l'Occident et de ses images. Dans Nymphes, Giorgio Agamben, suivant une piste ouverte par Aby Warburg, part à leur recherche afin de tenter de comprendre le curieux nouage entre imagination, désir, féminité et inquiétude qu'elles en sont venues à représenter. Virevoltant d'une installation vidéo de Bill Viola aux plus savants traités de la Renaissance, de la théorie de l' « image dialectique » de Walter Benjamin au Décameron de Boccace, il ouvre ainsi une perspective radicalement nouvelle sur le monde des images - à jamais humaines et à jamais impossibles. Paru originellement dans Image et mémoire, aujourd'hui épuisé, ce texte avait fait l'objet d'une publication séparée en langue italienne. C'est sous ce format que, conformément à la volonté d'Agamben, il est aujourd'hui réédité.
Qu'est-ce que l'inconscient ? À cette question, de nombreuses disciplines, de la psychanalyse aux neurosciences, ont tenté de proposer une réponse toujours frustrante. Peut-être cet échec repose-t-il sur le fait que l'inconscient a trop longtemps été considéré comme une chose à observer de loin, plutôt que comme un paysage à arpenter, à parcourir, à explorer. S'entourant d'une pléiade d'artistes, de cinéastes et d'écrivains, de Christopher Nolan à Mikhaïl Boulgakov, de Anish Kapoor à Stanley Kubrick, de Michel Houellebecq à Liv Strmquist, balayant tout le spectre de la pensée contemporaine, Sinziana Ravini propose donc une invitation au voyage une traversée de l'inconscient en compagnie de ceux qui ont choisi de ne pas chercher à le circonscrire, mais à en creuser les méandres et à en approfondir les chemins. En la suivant, on découvrira un monde nouveau, où les dimensions les plus narcissiques, les plus individuelles, de l'inconscient se confondent avec les plus générales, les plus collectives un monde où la vie intime des individus se fait l'écho de celle de la réalité elle-même. Dans un va-et-vient méditatif, les frontières trop bien définies des savoirs de l'inconscient finissent par perdre leur pertinence, au profit d'une approche nouvelle et sensible, qui cherche moins à définir les règles de compréhension de notre vie psychique qu'à poser les questions susceptibles de nous aider à poursuivre le voyage à devenir enfin, comme les artistes eux-mêmes, les psychonautes de notre présent.
La première édition de cet ouvrage date de 1964. En 1963, j'avais lu les Essais pour la première fois... Je me proposais d'en extraire la philosophie que j'y pressentais et de l'exposer de manière à en montrer la cohérence. Je distinguai soigneusement la morale et la doctrine de la sagesse, ce que j'appellerais aujourd'hui l'éthique. Cette distinction essentielle fit beaucoup pour la clarté de l'exposé. On a cru que 'mon' Montaigne me ressemblait, que je l'avais bâti d'après moi-même. Il est difficile de se tromper plus complètement. Que l'on lise 'Existence et culpabilité', dans Orientation philosophique, et l'on verra quelle sorte d'homme j'étais à l'époque, et combien j'étais plus près de Pascal ou même de Jansénius que de Montaigne.
Couronnement d'une oeuvre protéiforme et inclassable, explorant avec une gourmandise et une intelligence sans équivalent les mille et un avatars de la pop culture afin d'en faire les révélateurs du présent, La Victoire des Sans Roi apparaît comme le chef-d'oeuvre de Pacôme Thiellement. Prenant pour point de départ la découverte du corpus de textes gnostiques excavé en 1945 à Nag Hammadi, en Égypte, il y propose une vertigineuse relecture de l'histoire de la chute de l'Occident à l'aune de la sagesse de ceux qui n'ont jamais accepté de se plier aux règles des religions officielles. En oubliant les leçons des Gnostiques, nous nous sommes fermé l'accès à une autre voie que celle de la tristesse, de la méchanceté et du ressentiment - une autre voie que celle de l'échec. Mais à l'heure où il est devenu impossible de se cacher que l'Occident consomme les dernières conséquences de sa médiocrité, peut-être n'est-il toujours pas trop tard. Peut-être que rouvrir les textes gnostiques, et apprendre avec eux à pratiquer une autre exégèse du contemporain, une exégèse considérant la pop culture comme l'ultime dépositaire de leur sagesse, seraient encore susceptible de nous sauver. OEuvre prophétique, pamphlet poétique, traité à l'érudition époustouflante, livre de vie autant que diagnostic d'époque aussi implacable que hilarant, La Victoire des Sans Roi ne ressemble à aucun autre livre.
"Il n'y a pas de philosophie de Wittgenstein. Il y a l'histoire d'un homme qui lutta pied à pied contre la folie et le suicide avec pour seules armes la logique et l'éthique. Cet homme , on l'a dépeint tantôt comme un monstre, tantôt comme un saint, tantôt comme un génie, tantôt comme un détraqué sexuel. A Vienne où il a passé sa jeunesse, comme à Cambridge où il a enseigné, il est vite devenu une légende. Les rumeurs les plus extravagantes ont circulé sur son compte : on prétendit même que sa grande oeuvre n'était pas le "Tractacus logico-philosophicus" mais le suicide de son ancien camarade de classe Adolf Hitler et de sa compagne, Eva Braun, dans leur bunker berlinois. Ce qui demeure certain, c'est qu'aucun philosophe n'aura mené avec un tel acharnement son enquête sur "le monde tel qu'il l'a trouvé", ni sur les fins ultimes de l'existence. Dans ce bref essai, R. J. tente "à la manière de Stefan Zweig parlant de Montaigne, de Nietzsche, de Freud, " de cerner la personnalité de Wittgenstein et de faire quelques pas en sa compagnie."
Nous vivons l'âge du triomphe du mignon. Qu'il prenne la forme de personnages de dessin animé aux yeux démesurés ou de vidéos de chatons, de bébés joufflus ou de petites voitures qui donnent l'impression de sourire, la totalité de l'espace de la culture semble avoir trouvé dans la fascination pour ce que les Anglo-saxons appellent « cute » et les Japonais « kawaii » une sorte d'exutoire à l'horreur qui s'étale partout ailleurs. Mais de quel exutoire s'agit-il ? Et si, bien loin de marquer un échappatoire au cours du monde, notre goût pour le mignon n'était rien d'autre qu'une manière de nous y enchaîner davantage ? Et si, loin d'évoquer un monde de gentillesse et de douceur, il constituait une manifestation paradoxale de nos désirs de violence et de destruction ? Telles sont les questions qui servent de guide à Vincent Lavoie dans cet essai malin et virevoltant, où les célébrités d'Internet croisent celles du cinéma, du jeu vidéo, de la bande dessinée et même de l'industrie, de Pikachu à la Coccinelle, de Mickey Mouse aux inquiétants Cats for Jihad.
Dans les années 1970, lorsqu'on demandait « Qui parle ? », c'était un rideau de théâtre qui se levait, ouvrant sur une scène où s'exprimaient des êtres humains désireux de questionner les sciences et leurs procédures, la légitimité? des autorités, la structure des regards, la politique des identités, les épistémologies féministes, queer et postcoloniales, les institutions représentatives et jusqu'à l'histoire du cinéma documentaire ou des écritures pronominales en littérature. Mais aujourd'hui, à l'âge de l'Anthropocène, la voix silencieuse du monde a rattrapé ces humains. Poser la question « Qui parle ? » signifie désormais élargir la scène à tous les êtres qui, parce qu'ils ne disposent pas de la parole, ne pouvaient s'y exprimer. Animaux, végétaux, objets ou machines : comment faire pour leur donner cette parole dont ils furent exclus ? Aliocha Imhoff et Kantuta Quiros répondent à cette question par un manifeste pour une politique du silence qui est aussi bien une cartographie de ses moyens possibles : procédés de traduction et formes nouvelles de citoyenneté, d'écodiplomatie, d'attention ou de porte-parolat sont mobilisés par les militants, artistes et penseurs qui cherchent à donner une voix à ce qui n'en a pas.
Les esprits éclairés aiment à se moquer de Donald Trump. Il serait le symbole d'une forme de stupidité politique qui n'attendrait que le réveil des gens de bonne volonté pour s'évanouir comme un mauvais rêve. Mais rien n'est plus faux. Plutôt qu'un symbole, Trump est un symptôme : celui de la disparition progressive de la politique dans un gigantesque processus d'unification, où les camps en apparence les plus hostiles se tiennent en réalité la main. Pour en finir avec Trump, c'est cette disparition qu'il convient de combattre, en restaurant les possibilités d'une opposition qui résiste au consensus fondamental de notre temps. Ce consensus porte un nom : capitalisme démocratique. Son opposition aussi : idée du communisme. Toute la difficulté tient donc dans la façon dont Trump et ses semblables rendent chaque jour plus impossible de la rendre effective - au moment même où nous en avons le plus besoin.
Ils s'appellent Anna, Ashkan ou Julia. Ils vivent dans une banlieue industrielle de Londres, dans un camp de réfugiés en Grèce ou un terrain vague réservé aux gens du voyage aux portes de Paris. Ce sont des enfants, et ils sont malades. Tous souffrent de saturnisme - cette maladie du plomb qui coupe la respiration. Chacun dans leur cadre, ils sont les témoins d'un monde qui a choisi de cultiver l'irrespirable. Les usines pharmaceutiques anglaises et leurs fumées toxiques, la politique européenne qui rejette les migrants dans des zones où personne ne devrait pouvoir vivre, les autorités françaises qui cherchent à toutes forces à sédentariser les nomades sur les terrains d'anciennes décharges : voilà ce monde. Derrière la maladie des enfants, c'est donc celle du présent qui se dresse - une maladie dont Camille Louis, en un geste panoramique, à la fois virtuose et sensible, dresse le portrait terrifiant autant que plein d'espoir. Car, même différents, même isolés, même relégués dans les tréfonds de l'anormalité ou de l'indésirabilité, les enfants dont elle raconte les aventures livrent une leçon inattendue : celle d'une nouvelle manière de respirer ensemble - d'une nouvelle conspiration.