Les oiseaux de Verhovina sont partis subitement, un été. Le village, entouré de mines abandonnées, est coupé du monde depuis que la ligne de chemin de fer a été suspendue. Les habitants vivent en autarcie, avec pour seul réconfort les lángos au fromage blanc et le vin de mûres. Le brigadier Korkodus accueille des jeunes délinquants en réinsertion. La couturière Aliwanka lit l'avenir dans la neige et les larmes des habitants. La garde-malade Nika Karanika est capable de ressusciter les morts. Le jeune détenu Januszky parle une langue qui n'existe pas. Dans cette vie rurale où l'ennui entretient les ressentiments et la suspicion entre les habitants, les menaces apparaissent peu à peu et le malheur finit par s'emparer du village.
Par le prisme de la mémoire et du langage, le roman de Eszter Molnár tisse des liens entre Est et Ouest à travers trois récits et trois langues (française, allemande et anglaise), sur le thème du corps souffrant et soignant : celui de Teréz, qui après un abus sexuel subi durant l'enfance, va tenter de se réinventer et de faire face aux refoulements de son passé à l'étranger. Une voix profondément européenne pour donner en partage l'expérience aussi fondatrice qu'irréversible du déracinement.
« Une histoire bien compliquée », ainsi que l'annonce le narrateur : truffé de surprises narratives, ce court roman est en quelque sorte le reflet de l'agitation, de l'effervescence et de l'angoisse des années qui précèdent et suivent la Première guerre mondiale en Europe centrale.
C'est en même temps l'histoire très simple de l'inépuisable amour d'un homme, solitaire malgré lui, pour une femme aussi adorable qu'infidèle, aussi vive qu'insaisissable, maintes fois perdue et retrouvée, au gré d'apparitions plus ou moins prolongées, sous les identités les plus diverses.
Malheureux dans son commerce avec les hommes en temps de paix (il est historien d'art) comme en temps de guerre (qu'il passe chez les hussards, conformément à ses origines aristocratiques, avant d'être emprisonné pour indiscipline en raison de ses convictions socialistes), le narrateur distrait sa solitude par d'intimes obsessions : le Caravage, sa mère, ou encore un chien nommé Péter. Mais rien ne pourra venir supplanter son amour absolu et désespéré pour l'unique femme aux multiples noms.
Précipice (1929) est le récit de trois journées particulières dans la vie d'un homme rangé, qui va soudain plonger dans des abîmes dont le protégeaient jusque là les conventions de la vie professionnelle, sociale et familiale.
Ce professeur de droit se réveille un matin avec un sentiment de lassitude, d'exaspération, ainsi que d'étrangeté à sa propre vie. En proie à ce singulier trouble, il se rend tout de même à l'université : sous le coup d'une inspiration saisissante, il y donne un cours totalement improvisé, le plus beau de sa vie, et provoque ses étudiants par des discours iconoclastes. Puis il s'en va consulter l'une de ses anciennes disciples, devenue demi-mondaine, qui le met en relation avec un lointain parent capitaine des hussards, un homme plus libre que lui, croit-il. Obsédé par cette quête de liberté, il ne retourne ni au domicile conjugal ni à l'université. Suivent trois jours et deux nuits de dérive dans les rues, d'hôtels en cafés, marquées par des rencontres inattendues.
Précipice est une sorte de suite rhapsodique où l'on passe, sur les traces de ce narrateur solitaire et inquiet, bavard et cultivé, du brouillard aux lumières éclatantes, de la froidure des rues hivernales aux intérieurs surchauffés, des éclairages noctambules aux aubes glacées, d'insomnies en sommeils agités de rêves. L'alternance du monologue intérieur du narrateur et des dialogues avec les différents personnages rencontrés rythme cette odyssée intérieure et urbaine.
Autant que les profondeurs de l'âme humaine, ce récit nous fait découvrir le Budapest de l'entre-deux guerres, son aristocratie déclinante et sa grande bourgeoisie, ses bas-fonds où se mêlent toutes sortes d'individus, et où résonnent les premières notes de jazz. On y découvre également le style narratif de Milán Füst, que caractérisent un réseau serré et cohérent de motifs et d'images originales, son goût de la digression, ainsi qu'un certain lyrisme, tantôt audacieux, tantôt retenu, souvent teinté d'ironie.