Livre-manifeste, source d'inspiration pour Henry David Thoreau, La Nature (1836) est au fondement du mouvement transcendantaliste qui éclôt dans l'Amérique du XIX? siècle. S'y déploie une pensée poétique replaçant l'individu au sein d'une totalité enveloppante : la Nature. Une nature qu'Emerson appelle avec ferveur à reconnaître et à chérir.«Étendu sur la terre, - ma tête baignant dans l'air pur, et le regard égaré dans l'espace, - je sens s'évanouir tout égoïsme. Mon oeil devient un globe transparent. Je ne suis rien. Je vois tout.»
«Depuis que j'ai quitté le monde, et que j'ai choisi la voie du renoncement, je me sens libre de toute haine comme de toute crainte. J'abandonne ma vie au destin, je ne désire ni vivre longtemps, ni mourir vite. J'assimile ma vie à un nuage inconsistant, je n'y accroche pas mon espoir et n'éprouve pas non plus de regret. Pour moi le plaisir suprême est celui que j'éprouve sur l'oreiller d'une sieste paisible, et l'ambition de toute ma vie est de pouvoir, selon les saisons, contempler un beau paysage.»Notes de ma cabane de moineDes siècles avant Henry David Thoreau se lisent ici les pensées de deux grands poètes-ermites japonais célébrant, depuis leur contemplation silencieuse et retirée, la force de leur présence au monde.
«Relever le lustre et le privilège des dames, opprimés par la tyrannie des hommes, de les combattre plutôt par eux-mêmes, c'est-à-dire par les sentences des plus illustres esprits de leur sexe profanes et saints, et par l'autorité même de Dieu», voilà résumée en partie l'ambition de Marie de Gournay (1565-1645). Car, si elle défend la position des femmes, qu'elle veut à l'égal des hommes, et si elle réclame pour elles un accès au savoir et aux débats intellectuels, elle dénonce aussi la superficialité de la haute société qui l'entoure. «Fille d'alliance» de Montaigne et éditrice de ses Essais, Marie de Gournay puise, chez les Anciens comme chez ses contemporains, son inspiration pour de nouveaux modèles de moralité. Un plaidoyer humaniste en faveur de l'éducation des femmes placé au coeur d'une profonde réflexion et d'une indéniable vocation pédagogique consacrées à la moralisation de la société.
Le Tao-tö king, «livre sacré de la Voie et de la Vertu», réconcilie les deux principes universels opposés:le yin, principe féminin, lunaire, froid, obscur qui représente la passivité, et le yang, principe masculin, qui représente l'énergie solaire, la lumière, la chaleur, le positif. De leur équilibre et de leur alternance naissent tous les phénomènes de la nature, régis par un principe suprême, le Tao.«Tout le monde tient le beau pour le beau,c'est en cela que réside sa laideur.Tout le monde tient le bien pour le bien,c'est en cela que réside son mal.»
Texte amoureux et incarné d'une part, texte métaphorique et philosophique d'autre part, Le Cantique des cantiques et L'Ecclésiaste sont deux fragments bibliques inépuisables de densité et de beauté, qui captivèrent au fil des siècles théologiens, penseurs, artistes. Ces deux livres de l'Ancien Testament, sommets littéraires écrits en hébreu, sont ici restitués dans une langue poétique par la plume claire et ciselée d'Ernest Renan. «Oui, tu es belle, mon amie! oui, tu es belle ! Tes yeux sont des yeux de colombe. Oui, tu es beau, mon bien-aimé ! oui, tu es charmant ! Notre lit est un lit de verdure. »
Haruha akebono:«Au printemps, l'aurore.» Tous les Japonais connaissent par coeur l'ouverture du Makura no sôshi (les Notes de chevet), fleuron de la littérature ancienne dû à une dame de cour de l'an mille. Ses premières phrases évoquent un paysage en mouvement:cycle des saisons, parcours du soleil, traînées de nuages, vol de lucioles ou d'oies sauvages. La toile de fond de montagnes à la lumière changeante place d'emblée les fastes du palais de Heian-kyô (l'actuelle Kyôto), que le lecteur s'apprête à découvrir, sous le signe de la fugacité des phénomènes et de sa conséquence immédiate, le mono no aware, «la poignante mélancolie des choses».Corinne Atlan«Choses qui rendent heureux», «Choses qui égayent le coeur», «Choses qui ont une grâce raffinée», «Choses impatientantes», «Choses qui ne font que passer»... Par listes délicates et perçantes, Sei Shônagon saisit, attentive à leur impermanence, l'essence poétique des êtres et des choses.
«Au temps de Socrate, il y avait à Delphes, comme chacun sait, une espèce de Sibylle inspirée par Apollon, et qui vendait des conseils sur toute chose. Seulement le dieu, plus honnête que notre marchand de fluide, avait écrit son secret au fronton du temple. Et lorsqu'un homme venait interroger le destin, afin de savoir ce que les choses feraient pour ou contre lui, il pouvait lire, avant d'entrer, ce profond oracle, bon pour tous:Connais-toi.»«Connais-toi», «Des passions», «De l'imagination», «Ne pas désespérer», «Du devoir d'être heureux»... Trente superbes fragments de l'une des oeuvres phares d'Alain:Propos sur le bonheur.
« Aucun plaisir n'est un mal en soi ; mais ce qui est susceptible de produire certains plaisirs apporte bien plus de tourments que de plaisirs. » Sommes-nous en mesure d'atteindre le bonheur ? Le plaisir est-il une fi n en soi ? Et à quelles conditions est-il premier ? Comment hiérarchiser nos désirs ? Et notre finitude a-t-elle à être redoutée ? En trois Lettres et quarante Maximes, Épicure pose les piliers de sa doctrine, théorie du plaisir autant que de la connaissance, et source féconde pour les innombrables penseurs - de Lucrèce à Montaigne - qui se réclameront de sa philosophie.
Le corpus fondateur de l'école du Jardin.
« Je sais que notre peuple possédait des pouvoirs remarquables de concentration et d'abstraction, et je me demande parfois si le fait d'être aussi proche de la nature, tel que je l'ai décrit, garde l'esprit sensible aux impressions peu communément ressenties, et en contact avec les pouvoirs invisibles. » Dans la lignée du grand photographe Edward S. Curtis, T. C. McLuhan réunit ici plus de cinquante voix et écrits d'Indiens d'Amérique du Nord. Autant de textes d'une infinie richesse, et aux échos féconds pour notre temps.
« Matin de printemps - / mon ombre aussi / déborde de vie ! ».
Bashô, Buson, Issa, Chiyo-ni, Ryôkan, Shiki, Sôseki... Autant de grandes plumes japonaises réunies dans ce recueil de haikus. Un recueil où éclosent, dans la brièveté d'usage de cette forme, quelques superbes épiphanies propres aux deux belles saisons : le printemps et l'été.
Plus de 200 poèmes-tableaux, où se croisent, aux lisières de l'invisible, cerisiers en fleur, nuits d'été et autres pluies printanières.
« Tout le monde, mon frère Gallion, veut une vie heureuse ; mais, lorsqu'il s'agit de voir clairement ce qui la rend telle, c'est le plein brouillard. Ainsi n'est-ce point facile d'atteindre la vie heureuse ; on s'en éloigne d'autant plus qu'on s'y porte avec plus d'ardeur, quand on s'est trompé de chemin ; que celui-ci nous conduise en sens contraire et notre élan même augmente la distance. Il faut donc d'abord bien poser ce qui est l'objet de notre désir, puis examiner avec soin comment nous pourrions le plus rapidement nous diriger vers lui... » Deux textes phares du stoïcisme impérial.
« Est criminel tout ce qui a pour effet de déraciner un être humain ou d'empêcher qu'il ne prenne racine. » 1942. Résistante, Simone Weil est à Londres, rédactrice au service de la « France Libre ». C'est alors qu'elle écrit, pour l'après-guerre, plusieurs textes ayant vocation à préparer la refondation du pays.
Parmi eux, Étude pour une déclaration des obligations envers l'être humain et Luttons-nous pour la justice ? Suivra, au début de l'année suivante, La personne et le sacré. Trois textes que guident, phares en ces temps sombres, les idées de consentement, de beauté et de communauté humaine. » Un triptyque tout entier imbriqué à la grande oeuvre tardive et inachevée de Simone Weil : L'enracinement.
«Il y a dans les afflictions diverses sortes d'hypocrisie. Dans l'une, sous prétexte de pleurer la perte d'une personne qui nous est chère, nous nous pleurons nous-mêmes ; nous regrettons la bonne opinion qu'il avait de nous ; nous pleurons la diminution de notre bien, de notre plaisir, de notre considération. Ainsi les morts ont l'honneur des larmes qui ne coulent que pour les vivants... Il y a une autre espèce de larmes qui n'ont que de petites sources qui coulent et se tarissent facilement : on pleure pour avoir la réputation d'être tendre, on pleure pour être plaint, on pleure pour être pleuré ; enfin on pleure pour éviter la honte de ne pleurer pas.»
« L'histoire d'un ruisseau, même de celui qui naît et se perd dans la mousse, est l'histoire de l'infini. » « La source », « Le torrent de la montagne », « Les rives et les îlots », « Le cycle des eaux »... De chapitre en chapitre, suivant « les sinuosités et les remous » d'un ruisseau, depuis le ru jusqu'à la mer, Reclus ouvre le précis de géographie et le métamorphose, au fil de l'eau, en un singulier écrit d'écologie poétique.
Dans cette édition abrégée, se trouvent dix fragments d'une seule histoire : celle de l'Histoire d'un ruisseau d'Élisée Reclus (1830-1905), géographe arpenteur, communard exilé et figure pionnière d'une pensée écologique où se confondent connaissance de la nature et quête ardente de la liberté.
La voie de la non-violence n'est pas seulement l'apanage des saints et des sages, mais aussi bien de tous les autres hommes. «La non- violence est la loi de notre espèce, comme la violence est la loi de la brute. L'esprit somnole chez la brute qui ne connaît pour toute loi que celle de la force physique. La dignité de l'homme exige d'obéir à une loi supérieure : à la force de l'esprit.» Dans l'histoire de l'humanité, Gandhi est le premier à avoir étendu le principe de la non-violence du plan individuel au plan social et politique.
«Ce coquillage que je tiens et retourne entre mes doigts, et qui m'offre un développement combiné des thèmes simples de l'hélice et de la spire, m'engage, d'autre part, dans un étonnement et une attention qui produisent ce qu'ils peuvent:remarques et précisions tout extérieures, questions naïves, comparaisons poétiques, imprudentes théories à l'état naissant... Et je me sens l'esprit vaguement pressentir tout le trésor infus des réponses qui s'ébauchent en moi devant une chose qui m'arrête et qui m'interroge...» Qu'il évoque un coquillage aux formes fascinantes, le phénomène du rêve ou celui des mythes, Paul Valéry pense et déplie, dans ce triptyque sensible, «une poésie des merveilles et des émotions de l'intellect».
« Je gagnai les bois parce que je voulais vivre suivant mûre réflexion, n'affronter que les actes essentiels de la vie, et voir si je ne pourrais apprendre ce qu'elle avait à enseigner, non pas, quand je viendrais à mourir, découvrir que je n'avais pas vécu. Je ne voulais pas vivre ce qui n'était pas la vie, la vie est si chère ; plus que je ne voulais pratiquer la résignation, s'il n'était tout à fait nécessaire. Ce qu'il me fallait, c'était vivre abondamment, sucer toute la moelle de la vie, couper un large andain et tondre ras, acculer la vie dans un coin, la réduire à sa plus simple expression. » En plein XIXe siècle, Henry David Thoreau ne se reconnaît pas dans ce que lui offre l'Amérique - argent, travail, réussite sociale. Il tourne alors le dos à la civilisation et s'installe seul, dans les bois, au bord de l'étang de Walden (Mass.). Il ne doit plus sa vie qu'au travail de ses mains.
Sa philosophie: se contenter du strict nécessaire, sans superflu et prendre le temps de profiter de la vie et de la beauté de la nature.
Hymne épicurien à la nature, aux saisons, aux plantes et aux bêtes, avant d'inspirer les hommes, de Gandhi à la beat generation, en quête d'une vie simple en harmonie avec la nature.
« Être philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d'indépendance, de magnanimité et de confiance. » « La plupart des luxes, et beaucoup de ce qu'on appelle les conforts de la vie, ne sont pas seulement non indispensables, mais constituent de véritables entraves à l'élévation de l'humanité. »
«Ô France, France ! relève ton front altier, et n'inspire point à tes voisins le sentiment de la pitié. Que le peuple, les parlements et le roi ne forment qu'une même famille, et la Nation reprendra bientôt sa première splendeur.» Olympe de Gouges (1748-1793) dénonce les inégalités et les barrières, tant économiques que sociales et politiques, à la veille de la Révolution française. Consciente du pouvoir des mots, elle livre - à travers brochures et affiches placardées - son combat : promouvoir les différentes formes de liberté, l'égalité entre les hommes et la mise en place d'une politique solidaire efficace.
Inscrits dans le siècle des Lumières, ces plaidoyers annoncent les trois vertus cardinales qui font la République d'aujourd'hui : liberté, égalité et fraternité.
Erigeant la maxime au rang d'art, Chamfort (1741-1791) cultive le détachement aristocratique ; mais, dans le contexte révolutionnaire, il le fait jouer au service du peuple. Prenant le parti des plus humbles, il porte les coups contre les prétendus grands seigneurs et autres monarques. Ses sarcasmes n'épargnent pas non plus l'amour, le plus despotique des sentiments. Chamfort : un enfant naturel, admirablement doué, beau comme l'Amour, qui ne fait la conquête de la haute société que pour lui dire son mépris et offrir la plus cruelle peinture des dernières années de l'Ancien Régime. La Révolution survenue, Chamfort s'y jette à corps perdu. Mais ce dernier des justes ne supporte pas ce que Robespierre et Marat imposent de violence et de sang à l'action politique, et il tente de se tuer «dans des circonstances si horribles, écrit Albert Camus, qu'elles donnent sa dimension exacte à cette tragédie de la morale».
«L'homme n'est qu'un roseau, le plus faible de la nature, mais c'est un roseau pensant. Il ne faut pas que l'univers entier s'arme pour l'écraser ; une vapeur, une goutte d'eau suffit pour le tuer. Mais quand l'univers l'écraserait, l'homme serait encore plus noble que ce qui le tue puisqu'il sait qu'il meurt et l'avantage que l'univers a sur lui, l'univers n'en sait rien.» Une méditation bouleversante sur la condition humaine, entre misère et grandeur, portée par une éloquence exceptionnelle.
« Un buddha ancien dit : 'Avec le temps, je m'élève plus haut que les cimes des monts ; avec le temps, je descends plus profond que le fonds des mers. Avec le temps, je prends l'aspect de l'esprit guerrier ; avec le temps, je revêts le corps doré de seize pieds. Avec le temps, je me fais bâton ou balayette ; avec le temps, je deviens pilier ou lanterne. Avec le temps, je me confonds avec toute personne ordinaire ; avec le temps ; avec le temps, je me fais un avec l'étendue terrestre et la voûte du ciel.' Ce que j'appelle 'le temps d'une présence' veut dire que la présence participe du temps et que le temps participe de la présence. » Quatre chapitres du Shobogenzo - « Le Trésor de l'oeil de la vraie Loi » - , ouvrage phare du bouddhisme japonais.
«Quelle est donc la mesure d'un homme ? Quels buts peut-il se proposer, et quels espoirs lui sont permis ?» «L'infini», «Dieu», «L'humanité», «Les autres», «L'action»... Avec Pyrrhus et Cinéas, paru en 1944, Simone de Beauvoir signe son premier essai. Ouvrant sa réflexion sous l'égide des deux figures antiques que sont Pyrrhus - roi assoiff é de conquêtes - et Cinéas - son «sage» conseiller -, elle y déploie une philosophie de l'existence où prime la dimension irréductible de la liberté. Prolongeant ainsi exemplairement L'être et le néant de Jean-Paul Sartre, paru l'année précédente, elle y fraye aussi une voie singulière. Une voie que guide une préoccupation constante : quelle éthique pour une telle liberté ?
« D'abord, il faut examiner en quoi réside la vie heureuse et comment on peut l'acquérir. Est-ce tout naturellement qu'on devient heureux, chaque fois qu'on mérite d'être appelé ainsi, à la manière dont on devient grand ou non ou dont on acquiert un teint particulier ? Est-ce plutôt par le moyen de l'étude, comme quoi il y aurait une science du bonheur? Ou est-ce plutôt par le moyen d'un certain exercice? ».
Longtemps restée dans l'ombre de l' Éthique à Nicomaque, cette oeuvre du corpus aristotélicien, connue sous le nom d' Éthique à Eudème, se présente comme une recherche du bonheur, qui n'est possible qu'en réconciliant trois notions : la beauté, la justice et le plaisir.
Le texte s'adresse à l'individu privé (par opposition à l'homme politique) qui entend atteindre le bonheur, car c'est ce dernier qui donne finalement un sens à la vie humaine. Pour y parvenir, il faut allier les multiples vertus du caractère à la vertu intellectuelle (la prudence ou sagacité), reprenant ainsi la formule grecque classique "kalos kagathos" ("beau et bon"). Le plaisir est quant à lui rattaché, comme une récompense, aux actes bien faits. Aristote ne s'interroge pas sur ce qui est bien ou mal, mais affirme que le bonheur est la manière d'être la plus enviable qui soit, car elle rapproche l'homme des dieux. Le bonheur n'instaure pas de règle morale, il est le seul but à atteindre.
La dernière partie du traité (reprise ici dans son ensemble) aborde plus spécifiquement le thème de l'amitié car celle-ci constitue un bien précieux à la vertu, dont il convient de distinguer plusieurs formes, selon qu'elles se fondent sur le plaisir, l'intérêt ou la vertu.
Ni confessions, ni journal intime, mais plutôt dialogue avec lui-même, les Pensées de l'empereur Marc Aurèle (121-180 après J.-C.) sont un document humain exceptionnel. Inspirées des principes du stoïcisme, ces méditations pleines de sagesse révèlent un homme en proie au doute qui cherche la paix intérieure.
Un examen de conscience étonnamment moderne à lire et à relire.