Quelques mois après l'accession au pouvoir du nouveau chancelier
Jaiseth, la peur des migrantes du jeu de dames et des fous accusés de
"diagonalisme" se répand sur la ville de New-Ébène. Un petit jeu qui
profite à la Ligne, un nouveau mouvement identitaire au succès
grandissant. Luttes, alliances, amours, trahisons... Cette société
qui ressemble à la nôtre semble n' avoir jamais été aussi divisée.
Mais tous ces bouleversements ne sont peut-être que les coups d'une
autre partie bien plus complexe...
Dana, jeune femme noire vivant dans les années 1970, est soudainement
et inexplicablement transportée de sa maison en Californie vers le
Sud d'avant la guerre civile (1861-1865). Alors qu'elle voyage dans
le temps en plusieurs allers et retours entre sa réalité
contemporaine où elle est une femme libre et l'époque de la guerre de
sécession, elle se retrouve dans une plantation du sud, prise dans la
vie de Rufus qui n'est autre que l'un de ses ancêtres, un
esclavagiste blanc qui va la traiter comme une esclave.
Au cours de l'été 2015, Ali Fitzgerald commence un atelier
hebdomadaire de bandes dessinées avec des réfugiés à Berlin, soutenu
par Comic Invasion et Amnesty International. Dans cette « non-fiction
graphique surréaliste » - c'est ainsi qu'elle définit sa bande
dessinée - l'autrice présente avec beaucoup de sensibilité les
difficultés que rencontrent les réfugiés en Europe. En leur proposant
de dessiner, elle leur offre un moyen d'exprimer, sans forcément
parler, ce qu'ils ont vécu et ce qu'ils espèrent. Tout en suivant
leur parcours, elle raconte Berlin et établit avec beaucoup
d'habileté un parallèle instructif entre ce drame actuel et celui des
Juifs obligés de fuir les pogroms des années 1920, puis persécutés
plus tard par les nazis. Les témoins qu'elle invoque pour parler de
ce passé sont deux écrivains importants dont elle cite des phrases
soigneusement choisies : Joseph Roth et Christopher Isherwood. La
richesse du texte et la simplicité des dessins font de ce livre un
roman graphique émouvant et passionnant.
Les Van Mergaerts sont à la tête d'une lainerie florissante depuis
plusieurs générations. Toute la famille vit dans le luxe grâce aux
profits dégagés par la manufacture. Mais lorsque la modernité fait
son apparition avec l'arrivée d'une nouvelle machine, les problèmes
s'accumulent annonçant le déclin de la prospérité familiale. C'est en
découvrant les cassettes autobiographiques de son grand-père qu'Aart
Taminiau décide d'écrire l'histoire de l'entreprise familiale
déboussolée par la révolution industrielle.
Inspirée par l'intensité de Frida Kahlo et de ses tableaux les plus
célèbres, l'artiste espagnole María Hesse nous livre ici une oeuvre
singulière sous formes d'articles, de lettres, de dessins très
colorés qui illustrent magnifiquement les fragments de la vie de
l'icône mexicaine. Un corps marqué par la douleur et la passion, une
fantaisie peuplée d'images envoûtantes et dérangeantes, une vision
enthousiaste et persistante du monde - l'attrait de Frida Kahlo reste
intact. Avec une volonté incomparable, elle a défié les fardeaux de
la vie, vécu avec un esprit libre, aimé avec un coeur ouvert, et créé
des oeuvres d'art d'une puissance rayonnante. Pour son refus de vivre
dans l'ombre de son grand amour Diego Rivera et pour sa rupture
courageuse avec les conventions sociales, Frida Kahlo est toujours
vénérée dans le monde entier.
Julio Cortázar, mince et élancé, cheveux noirs et rebelles, barbe,
lunettes à monture épaisse et un visage d'éternel adolescent. L'un
des auteurs contemporains les plus connus et admirés et l'un des noms
incontournables du boom latino-américain. Cette biographie illustrée
permet de découvrir, sous la plume de Marc Torices et de Jesús
Marchamalo, les épisodes les plus importants et lumineux de sa vie et
de connaître, comme des témoins privilégiés, une grande partie de son
univers et de sa littérature : ses lectures et ses voyages, son
enfance et ses amis, ses premiers écrits, le jazz, Paris et ses
balades avec la Sibylle ou encore son amour pour les chats. Un
portrait sensible et remarquable de l'auteur de "Marelle", plein de
complicité et d'admiration. Jamais encore Cortázar n'avait été
dépeint de la sorte dans un roman graphique au dessin aussi superbe
et étonnant.
Au début du XXe siècle, il était très en vogue, pour un journaliste
issu de la bourgeoisie, d'écrire ses frasques ou ses aventures dans
des pays exotiques. William Seabrook était le précurseur de cette
tendance et n'hésitait pas à participer à des cérémonies vaudoues à
Haïti, à traverser le Sahara à dos de chameau, à discuter avec des
rois cannibales de Côte d'Ivoire ou à goûter de la viande humaine
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volée par une connaissance travaillant dans une morgue parisienne.
Mais l'écrivain était un alcoolique invétéré et notoire, profondément
obsédé par le sadomasochisme et les soi-disant propriétés mystiques
de la douleur. C'est sans état d'âme qu'il choquait la bonne société,
en pratiquant le bondage avec de jeunes femmes qui se retrouvaient
parfois ficelées comme des rôtis. Même s'il côtoyait de nombreux
artistes et écrivains illustres de son époque tels Aleister Crowley,
Man Ray ou James Joyce, les dernières années de sa vie il sombrait
peu à peu dans l'oubli, laissant probablement derrière lui son rêve
de devenir un grand écrivain.
Suite aux événements tourmentés qui ont failli lui coûter la vie,
James aspire à trouver un semblant d'équilibre dans sa nouvelle
existence. Il s'est installé dans la célèbre communauté libertaire
autogérée de Christiania à Copenhague créée dans les années 70 par
des hippies, et où le commerce de la résine de cannabis est autorisé.
Alors qu'il ne voit plus sa famille depuis longtemps, Arla,
désespérée, vient frapper à sa porte pour lui demander son aide.
Désormais, James doit assurer son rôle de père à plein temps pour
protéger Joshua son fils qu'il aime profondément. Mais, caler
l'emploi du temps d'un gros trafiquant de drogue avec celui d'un
enfant qui va à l'école devient très vite problématique... Avec le
troisième et dernier tome de cette trilogie magistrale où la poésie
et la puissance narrative ne retombent jamais, Halfdan Pisket résout
son histoire terriblement touchante en déclarant son amour à ce père
extraordinaire.
Trois histoires se croisent dans Ne change jamais et finissent par
s'entremêler. Chacune d'elles est empreinte d'étrange et de science-
fiction. On découvre un futur possible où les expériences
scientifiques ont engendré des mutations irréversibles de l'être
humain. Les humains mutants contaminent leur entourage mais tout cela
est étouffé et gardé secret. Impossible de dénouer le fil du récit
tissé par l'auteur qui nous laisse haletant, pantois et distille en
nous l'angoisse sourde d'un mystère non élucidé. Genre, sexualité,
condition sociale, espèce, rien n'est établi. Et le portrait encadré
d'un singe, à la manière d'une photo de famille, nous interpelle sur
le passé de notre espèce et donc son futur à venir...
Et si notre société était un gigantesque plateau d'échecs, avec un
roi, des pions rebelles et des dames migrant d'un autre plateau,
menacées d'expulsion ? Entre manipulations, corruption, chasse aux
migrants et montée du totalitarisme, ce thriller politique décrit
l'actualité d'une société prise dans l'engrenage d'une partie
destructrice.
Après quelques années passées loin de chez lui, Jesús revient dans
son quartier des bas-fonds d'une banlieue andalouse où se côtoient
violence et adversité, en espérant en secret y retrouver Irene...
Avec l'aide de Fae, son ami d'enfance, il tente d'échapper à la
délinquance et à la marginalité en trouvant du travail. Mais Vargas,
le frère exalté de son ami qui lui voue une haine tenace, va raviver
les braises d'un passé jusque-là enfoui. Véritable tragédie flamenca
où la musique et la poésie se mêlent en filigrane à l'histoire, El
Irra nous livre ici un portrait sans concession d'un monde qu'il
connaît si bien mais qui laisse transparaître, au-delà de la dureté,
de la violence omniprésente et de la désespérance, un chant d'amour
lancé à sa terre.
Au Japon, l'art de la vulve ne passe pas. L'artiste tokyoïte
Rokudenashiko a été inculpée le 24décembre 2014 et incarcérée six
mois après sa première arrestation, pour avoir enfreint la loi
relative à l'obscénité, en moulant son sexe puis en le scannant en 3D
afin de construire un canoë-kayak. Son travail, insolite et non dénué
d'humour, vise à casser le tabou de la représentation du sexe féminin
dans son pays, qui reste interdite celui-ci est flouté, pixélisé ou
estompé sur les photos, les dessins et dans les films alors que la
pornographie est largement diffusée. De son côté, le pénis est fêté
comme il se doit chaque année pendant le festival du phallus de fer
de kawasaki. Le récit de cette arrestation, médiatisée dans le monde
entier, a permis de mettre en évidence les contradictions d'une
société japonaise sclérosée par ses tabous elle n'est bien sûr pas
la seule concernant plus généralement le statut de la femme.
À la fin des années 70, le père d'Halfdan Pisket décide de quitter la
Turquie, afin de fuir un passé douloureux et reconstruire sa vie au
Danemark, là où, dans les magazines, les femmes sont particulièrement
belles. Mais les choses sont plus complexes que prévu, comme si le
sort s'acharnait sur cet homme déraciné et insoumis...De la lecture
de cette oeuvre magnifique, qui aborde le thème de l'intégration, on
ressort bouleversé. Et troublé. Par ce personnage ambivalent, mais
terriblement attachant. Et par la force créative d'Halfdan Pisket qui
a su transcender l'histoire tragique de son père avec une énergie
résiliente étonnante. On avait déjà été époustouflé par le dessin et
la poésie du premier tome, Déserteur. Ici, l'auteur va encore plus
loin dans l'urgence, la puissance de survie, découpées au scalpel
jusqu'à l'extravagance.
Qui a dit que les gens ordinaires n'avaient pas d'histoire ? Certainement pas cet auteur de l''Illinois né en 1989 qui, dans ce recueil à la facture graphique plus que séduisante (et glaçante), explore la psyché de la classe moyenne américaine en exposant la banalité de son quotidien. Banalité apparente d'un sitcom - comme son titre semble l'indiquer - mais qui laisse se dévoiler la richesse et la complexité des sentiments.Dans ce premier roman graphique, l'auteur décline son propos en six histoires imbriquées les unes dans les autres et dont le fil conducteur est marqué par la présence de plusieurs personnages récurrents. Histoires très imprégnées par un malaise profond, générateur de fantasmes insidieux parfois marqués par un sadisme primaire - qui pourrait faire penser au film ""Storytelling"" de Todd Solondz - probablement dû à ce vide existentiel inhérent à cette Amérique des banlieues lisses et sans histoires, consumériste et désenchantée, voire désoeuvrée.
Une voiture de police stylée années 50 fonce à travers le désert du
sud des États-Unis, quelque part entre l'Arizona et l'Alabama. À son
bord, l'officier Alonzo, son jeune coéquipier et, dans le coffre, un
noir bâillonné prêt à être livré en offrande à une secte sataniste
mâtinée d'un racisme à la KKK. Dans ces contrées sudistes, c'est en
tuant un noir que l'on gagne la confiance et le respect des siens.
Mais cette fois, les règles de l'épreuve initiatique sont changées et
c'est son coéquipier qu'Alonzo va devoir tuer... Le tableau ne serait
pas complet sans la présence d'évangélistes mormons qui retirent
leurs globes oculaires avant de se coucher comme d'autres déchaussent
leurs lunettes, de femmes à quatre seins, de revenants qui viennent
hanter les mauvaises consciences des vivants, de policiers véreux à
la gachette sensible qui vivent mal leurs pulsions homosexuelles...
Construit selon un principe circulaire hérité du film Pulp Fiction,
ce roman graphique aux ambiances surréalistes explore avec une
étonnante virtuosité l'étrange et le fantastique dans un monde en
décomposition qui n'est pas sans rappeler l'univers de David Lynch et
la dérision humoristique de Quentin Tarantino.
Prisonnier d'une geôle lugubre, le père de Halfdan Pisket se souvient
du moment où il habitait ce village non loin de Kars dans la zone
frontalière instable entre la Turquie et l'Arménie. Né dans une
famille aisée, d'un père turc et d'une mère russo arménienne, il y
menait une vie d'adolescent presque normale même si les alentours
sous tension étaient surveillés par les conscrits turcs - les « sans-
visage ». Toutes les religions et coutumes cohabitaient en paix mais
la terre sombre de ce pays recélait encore le souvenir funeste d'un
génocide arménien. Les évènements dramatiques commencent à
s'accumuler lorsque son meilleur ami est abattu par les « sans-visage
», alors qu'il ne faisait que prendre du bois dans la forêt. Suite au
choc émotionnel, rempli de haine, le jeune homme est terrassé par ses
premières crises d'épilepsie. Alors qu'il est enrôlé de force dans
l'armée des « sans-visage », il suffira qu'une visite à son père
malade soit refusée par sa hiérarchie pour qu'il décide de prendre la
fuite. Très vite repris, c'est de cette sinistre geôle qu'il nous
raconte - quand il n'est pas torturé - son histoire chaotique, au
rythme des crises d'épilepsie et des flash-back, créant ainsi une
pulsation très singulière entre la réalité transcendée pleine de
poésie et le récit historique. Basée sur des interviews du père de
l'auteur et des anecdotes tirées de sa vie dans les années 60-70,
cette histoire troublante d'une famille qui part en lambeaux est
sublimée par un dessin intense, tourmenté et convulsif.